Pas après pas. Ti pas ti pas. Doucement. Lentement. Sûrement. Je monte. Sans m’arrêter. Je me prends pour une alpiniste sur l’Everest à ce moment là. Ne pas vouloir aller trop vite. Conserve ton énergie Milie. La route est longue. L’ascension est raide. Et ça monte. Encore. Encore. Encore. Un homme habillé en roi sur le bas côté, une petite fille qui m’offre un verre. Bienvenue. La tisane ascenseur me réchauffe à mi chemin. J’hésite, je bois lentement en marchant. Elle ne me fera aucun effet. Je continue. Toujours. C’est bien Mimi. Un replat. On arrive en haut. Ah non. Toujours pas. Jamais.
Tout va s’enchaîner à présent. Toute la nuit. J’ai atteint Marla à 21h08. Village perdu de Mafate. Concentrée sur mes sensations. Assise sur l’herbe humide à tenter de manger un aileron de poulet grillé. A boire un thé chaud, enfouie sous une couverture gentiment mise sur mes épaules par une bénévole. Je suis bien là dessous. J’essaie de dormir. J’essaie… Et cette musique permanente des couvertures de survie qui se font et se défont au loin là bas, dans ce que j’appelle intérieurement le cimetière doré argenté. Tous, les uns à côté des autres, à chercher Morphée. Mais Morphée ne veut pas encore de moi.
Alors je repars. Et toute la nuit, je vais arpenter le cirque de Mafate. Dans le noir. Il fait froid à la rivière des galets, il fait chaud quand je remonte vers le col des boeufs. Le sentier est infini. Mes yeux se ferment. La lutte est terrible. Non, ne lâche pas. Jamais. Une main sur son épaule en passant pour l’encourager. Allez suis moi. Courage. Il reste. Je continue. Les yeux à demi clos. Chaque virage en épingle, un raideur assis, allongé, assoupi. Non. Pas toi Mimi. Avance. Encore un pas. Et puis une pierre. Elle est à moi. Je m’étale de tout mon long. Mais je n’arrive toujours pas à dormir. J’entends dire au-dessus de moi que le sommet est à cinquante mètres. Ah. Je repars.
Un peu plus loin, sur la plaine des Merles, j’ai rêvé d’un lit de camp. C’est un carton qui m’attendait. Et ma couverture de survie. Je demande qu’on me réveille 15 minutes plus tard. Sans succès. J’ai froid. Est-ce que la fatigue est si intense que même le sommeil est fatigué de venir ? Qu’il a la flemme de venir me chercher ? Lâche prise Mimi. Le temps fera le reste.
Le sentier scout aura été terrible. Je pensais descendre tranquillement au vu du profil sur mon dossard, cela s’avère être au contraire une succession de traversées de ravines, de raidillons, de plongées dangereuses, de mains courantes. Je somnole en montée, je me bats contre mes paupières. Les jambes suivent. Sans résistance. Quand je m’assois les yeux fermés contre la falaise, je me demande ce que je fais là. Je ne vois rien. Cette crête doit être grandiose. Mais je ne vois rien. Bordel ! Mais quel intérêt ?! Je vois les marques de GR partout. Mais merde quel intérêt ?! Je reviendrai. Au calme. De jour. Parce que là vraiment, non mais quel intérêt ?!
Je renais petit à petit dans la descente vers Ilet à Bourse. Des racines, des pierres, c’est sec, je suis solide. Mon corps répond très bien aux diverses sollicitations. Il se réveille. L’instinct de survie peut être. Je suis lucide. Je double sans cesse. Rien ne m’arrête. Je profite de chaque instant comme celui ci. Comme si enfoui au fond de nous, nous avions une réserve d’énergie pour les cas les plus désespérés.
Ce qui est incroyable, c’est qu’à aucun moment je n’ai pensé abandonner durant ce long périple. Jamais. J’ai douté certes. La première nuit, déjà épuisée. J’ai vu les barrières horaires jamais très loin jusqu’au Maido. Mais je n’ai jamais envisagé autre chose que d’arriver à la Redoute. Je n’ai jamais pensé à autre chose qu’à ce stade à Saint Denis. Comme une évidence.
Une tente. Un lit de camp. Une couverture. Tout y est. Mais je n’arrive toujours pas à sombrer. Je ne sais pas comment m’installer, j’ai mal aux hanches, un côté, l’autre. J’ai froid. C’est humide, nous sommes dans les heures les plus froides de la nuit. Le soleil va bientôt percer. Enfin. Il est cinq heures. Merci. Cela fait maintenant 31 heures que je cours sur ce Grand Raid de la Réunion. J’ai progressé, je suis 1620e mais je ne le sais pas et je m’en fiche. A présent, l’inconnu. Je n’ai jamais dépassé les 30 heures de course sur l’île de Madère. Les regards sous le préau de l’école sont bienveillants, interrogateurs, soucieux aussi. On a l’impression de tous partager le même secret. Je remplis mes flasques d’eau et je repars. Cher futur, je suis prête.
Le soleil se lève en même temps que je m’élève. Et voilà. J’aime. Le décor s’offre à nous. Mafate te voilà enfin. Tout est là. Je me sens toute petite au milieu des pitons, face aux remparts du cirque. A cet instant, les paroles de John Muir prennent tout leur sens. « Nous sommes dans la montagne et la montagne est en nous, dans chacun de nos nerfs, pénétrant par chacun de nos pores et alors, notre corps devient transparent comme du verre à la beauté qui l’environne, comme s’il en était devenu une partie, vibrant avec l’air et les arbres, les courants et les rochers, dans les vagues du soleil. Une partie de la nature… immortelle… un autre moi ».
La descente est périlleuse sur les cailloux lisses et glissants. Mais que j’aime cette longue pause à l’ombre, au niveau du grand bassin au Bloc. J’en profite pour échanger quelques messages avec des proches. Tout va bien. Oui tout va bien. Et je m’aperçois que beaucoup de monde suit ma progression. Ca fait chaud au coeur. Merci. Alors c’était vous cette nuit ? Ces branches que je prenais pour des gens ? De gentilles hallucinations ou bien peut être que nous étions simplement connectés par la pensée ? J’ai aussi retrouvé mes petits papillons blancs de Madère. Je suis pourtant sûre qu’ils sont réels ces papillons. Pas comme les grosses araignées que je voyais au sol, ça c’était mon araignée au plafond hi hi ! Le jour s’est levé et a emporté avec lui ses fantômes. Tant mieux.
Je ne veux pas de 3e nuit. J’ai peur. Après celle que je viens de vivre, je ne vois pas comment je pourrais survivre à une 3e. Et pourtant il faut se rendre à l’évidence, elle se rapproche dangereusement vu mon avancée. A moins d’un miracle…
Je redoute un peu la chaleur assommante qui arrive mais cela se gèrera comme tant d’autres choses. Marche après marche, pas après pas, Roche Plate se rapproche. Je rencontre un normand que je croiserais régulièrement jusqu’à La Possession. La Normandie lé la ! Le ciel est d’un bleu marine parfait. Quelle journée qui arrive ! Nous sommes chanceux d’être là. Et nous nous en souviendrons longtemps.
J’ai passé Roche Plate et retrouvé les coureurs du Trail du Bourbon. Nombreux. Il fait si chaud. C’est si beau ici. J’ai de plus en plus de mal à manger quoique ce soit. Salé. Sucré. Je me force. Doucement. Il faut repartir, n’est-ce-pas ? Apos et Lionel viennent de repartir du Maido. Ils sont toujours devant. Avec 4 heures d’avance sur moi environ. Je comprends que je ne les rattraperai jamais. Cette course c’est la tienne Mimi. Tu es partie seule. Tu arriveras seule. En quasi autonomie. Car je n’ai pas d’assistance. J’ai l’habitude de me gérer seule sur une course mais là, c’était particulièrement difficile d’observer la danse des aidants. Je me souviens de ce moment terrible où je suis derrière une femme dans la nuit. Je suis absente. Epuisée. Vide. Un homme vient à sa rencontre et lui dit, c’est bon on arrive. La tente et ton lit sont prêts. Tu vas te reposer et te réchauffer. Je suis abattue. J’ai envie de pleurer. Je m’imagine pénétrer dans sa tente et dormir auprès d’elle. Non. Ce n’est pas pour toi Mimi. Va t’allonger sur un carton. Et tais toi.
Le Maido. Un kilomètre vertical sous le cagnard qui arrive après 40 heures de course. Ti pas ti pas. Passage à flanc de falaise avant d’arriver à la Brèche. La montée est infinie, éprouvante, mais j’avance. Je m’arrête juste pour dévorer une barre de céréales au chocolat. Je bascule en mode rando. J’arrive enfin à manger quelque chose. Je m’hydrate bien. Ca me rassure. Même si j’ai quelques nausées au moindre truc avalé de travers. Je vais à mon petit rythme de croisière. Déterminée. J’entends « ça, ça m’énerve, je déteste ça ». Je sais que c’est pour moi. Mes petites gambettes surprennent quelquefois ces messieurs fatigués hi hi. Piqués dans leur fierté. Je peux comprendre. C’est un jeu après tout. Et j’aime me confronter à ces gaillards. Leur montrer que nous sommes aussi capables de faire ces choses extraordinaires même si on n’en a pas l’air. Oui à cet instant, je suis fière d’être là, d’être une femme, d’être libre. Je me sens forte au coeur de ma faiblesse dans l’ascension. Et j’aime entendre plaisanter les réunionnais. Une gorgée de Coca ma soeur ? Oh oui avec plaisir ! Allez, allez, allez Emilie ! Ils sont partout. Ils nous portent. Jusqu’en haut. Merci.
Sommet du Maido. Je cours sur le rempart jusqu’au ravito. Je me souviens de ce que m’a dit Apos. Il est plus loin, pas au sommet. Tête Dure. Beaucoup plus loin après en effet. Je pénètre sous la tente. En regardant les tables de nourriture, je suis écoeurée de tout. Les odeurs, tout. Même l’eau m’écoeure. Plus aucune envie d’avaler quoique ce soit. Tant pis. On va faire avec. J’essaie une nouvelle fois de dormir sur l’herbe. La tête au soleil. J’y suis presque. Et là, l’orchestre se met à jouer juste à côté de moi… Fuyons Mimi. Partons loin d’ici !
Descendre. Monter. Descendre. Remonter. Tu crois que tu vas descendre jusqu’à Sans Souci. En fait tu ne fais qu’osciller. J’en ai ma claque de ce profil sur mon dossard qui n’est pas réel ! Je veux descendre maintenant ! Ca suffit ! Et cette poussière… Partout. Je respire la terre qui vole. Ah ça y est. Je descends dans la forêt. Et toujours ces escaliers en rondins. Je file. Je double. Je n’arrête plus de doubler. Je passe des dizaines et des dizaines de coureurs qui marchent ou trottinent. J’ai le sourire des grands moments. Je me sens si bien tout à coup. Et soudain. Je m’arrête net. Et je fonds en larmes. La mer est là, sous mes yeux, au loin. Des larmes. Les seules vraies de ma Diagonale. Je ne peux plus m’arrêter. La mer ! Je pleure en descendant. Il me reste 45 km. J’ai réussi. A cet instant précis, je sais que rien ne pourra m’arrêter. Qu’il suffit juste que je sois prudente. Je rentre à la maison ! A Saint Denis ! Laissez moi passer ! Et je continue à doubler !
A Sans Souci, je pointe à la 1471e position. En 24 heures de course, j’ai repris 700 places. Je ne réalise pas que je remonte à ce point dans le classement. Je vois que je double mais je m’arrête tellement longtemps à chaque ravito que j’ai l’impression que ça équilibre. Mais non, en fait, j’avance pas trop mal en réalité. Je reçois des messages. « La machine est en route ». Ca me fait sourire. C’est un peu ça en effet. Il m’a fallu 40 heures pour me chauffer hi hi. C’est fou mais je me sens sur un petit nuage. Je n’ai jamais été aussi en forme depuis Saint Pierre ! Et miracle j’ai plaisir à avaler deux petites crêpes jambon fromage. Un petit Coca aussi. Une douche froide réparatrice. Séance relaxation sur un tapis de gym. A défaut de dormir. Ma montre est hors service. A présent, tout se fera au feeling. Aucun repère d’altitude ou de kilométrage. Je change de chaussures. Tout le monde me l’avait conseillé. Première fois que je change de godasses en course, c’est bizarre.
En repartant, je cours. Toujours. Les muscles se réchauffent. C’est facile. Comme une petite sortie dominicale. J’entends les spectateurs dire « elle a l’air fraîche elle, c’est fou ». Je le sens dans chacun de mes pores, je suis fraîche oui ! Peu de douleurs, en tout cas, je fais abstraction et cela ne me perturbe pas. Un regain d’énergie, le sommeil attendra. Et je recommence à doubler. Et… je m’étale de tout mon long ! J’ai mal, je me suis blessée au genou. Heureusement, rien de grave, j’aurais pu m’empaler sur un outil agricole vu où je suis ! C’est malin ça ! Ces foutues godasses plus grandes, plus larges, avec une accroche différente. Il faut vraiment que je m’habitue ! Parce que j’ai envie de m’éclater dans les cailloux, pas de descendre en mode déambulateur ! Ca m’énerve ! J’aurais dû faire comme d’habitude et garder mes pompes jusqu’au bout. Slowly slowly Mily. Je suis vraiment moins assurée dans les descentes. Je me soigne sur un trottoir sous les yeux bienveillants des spectateurs qui veulent m’aider. Je saigne beaucoup. Mais ça finit par coaguler.
Le soleil couchant sur la rivière de galets, puis dans la canne à sucre est assez fabuleux. Ces couleurs du soir sont douces, accueillantes. J’ai maintenant une envie folle de m’arrêter pour… devinez quoi… je suis folle… boire un rhum arrangé et manger quelques grillades sous ces petits parasols ! Huuummm… je vais plutôt bien apparemment ! Et cette chanson… allons danser… continue de me bercer. Je suis une randonneuse les amis ! Une randonneuse à grande vitesse ! J’ai des envies de plaisir. J’ai faim. Enfin ! Et je ressors la frontale. Je monte et descends rapidement. Et je découvre en arrivant au chemin Ratineau que je ne suis plus que deux heures derrière Lionel et Apos. Comment est-ce possible ? Je vole ! Et si ? Et si je les rejoignais pour la descente vers la Redoute ? Apos me prévient qu’ils entament le chemin des anglais. Attention j’arriiiiive hi hi !!
Il y a ces brochettes de ti poulet. J’en ai presque envie… Mais je n’ose pas. Je repars à toute vitesse vers La Possession. Si je me dépêche, je peux arriver avant 3 heures au stade et finir ma nuit dans un grand lit douillet. Heureuse. J’ai basculé en mode commando. Le chemin Kalla. Je l’aime bien. Il est exigeant. Malgré les douleurs. C’est vraiment raide, impraticable, ça monte droit dans la pente, ça redescend aussi sec. Mais je l’aime bien. Des cordes. Encore de la poussière. Les genoux commencent à s’exprimer. Pour la première fois, je ressens les articulations de mes genoux. Mode commando. Je fais la trace. C’est moi. Je suis en transe. Et je lâche le rythme insoutenable que je m’impose pour les derniers kilomètres, je sens que je faiblis, je m’arrête manger quelques bonbons. Je me connais très bien à présent, je sais repérer les signes. Et ça repart tranquillement jusqu’à La Possession où un monde fou nous acclame.
La pression retombe à la vue des lits de camp. Dodo. Et cette fois-ci c’est la bonne. J’ai enfin sombré. Les 5 dernières minutes de ma sieste de 20, j’ai senti que j’étais partie. Alors j’ai demandé 20 minutes supplémentaires. Le réveil a été brutal, chaotique, horrible, pénible. Faut-il vraiment repartir ? Je devais avoir une tête de déterrée pour que mon voisin me propose de m’accompagner. Non merci beaucoup, ça va aller je t’assure. Repose toi. Et il se rendort illico. Je n’ai pas peur de la nuit noire. Et je me réveille en douceur. Dix bonnes minutes avant d’émerger, de rebasculer sur le Grand Raid. Je sais maintenant que je ne rattraperais pas mes petits fous devant moi. J’ai lâché prise. Morphée m’a privé de leurs rires au Colorado. Je serai seule à l’arrivée.
Allons donc voir ce fichu chemin des anglais. Ah c’est ça ?! Ces petits pavés ?! Oh ce n’est pas si terrible ! Je prends la rangée du milieu bien plane. Le halo de ma frontale est très réduit. J’ai dû en changer et prendre la petite. Après plus de deux nuits dehors, les deux batteries de la grosse lampe sont HS. 50 heures de course ! Je ne vois que du noir et au milieu mes pieds sur les pavés. Je suis seule. Avec les étoiles. Quelques rares lumières au loin, devant, derrière. Seule. Au milieu des zombies. Cela devient de plus en plus difficile. Aucun de ces cailloux n’est plat en fait. Ou stable. Un éboulis de cailloux. Une piscine de cailloux. Une plage infinie de galets à monter et descendre. Là ça y est, j’en ai assez en fait. Allez ! Bordel ! Qu’on en finisse, ça suffit les anglais là !
Grande Chaloupe. Je suis les rails. Et je monte vers le Colorado. Au début, cela ressemble au chemin des anglais, puis on passe dans une ville, le bitume, c’est plus facile. Je marche, je cours comme une dératée. Je me dis que si je ne tarde pas, je pourrais voir les gars à l’arrivée. A présent, je n’ai qu’une seule chose en tête : arriver, partager ma ligne. Je monte à grande vitesse. Je double. Sans cesse. Tout le monde. Diagonale, Bourbon, tout y passe hi hi ! Je le sais, je le sens. A cet instant, je suis très impressionnante et impressionnée par mon ascension. Je n’ai pas pas 160 kilomètres dans les jambes. Je ne suis pas dans ma 3e nuit de course avec seulement 25 minutes de sommeil. Je vole. Je suis comme habitée. Possédée.
A un abri bus, un raideur est allongé sur le banc. Je range quelques affaires. Je ressors mon petit mot mystère ouvert pendant la course. « Un peu de folie est nécessaire pour faire un pas de plus ». Ouvert à Roche Plate. Magique. Je souris en repensant à ce moment. Et je continue. La rage au ventre. Un message. Tiens ça y est, les loulous sont arrivés. Au Colorado, je ne m’arrête pas. Je dis à tout le monde, non, on m’attend en bas, je dois y aller ! Les bénévoles me regardent l’air de dire, celle-ci est complètement folle. Pas encore. Pas tout à fait. Mais très bientôt oui !
Il y a du monde dans la descente ! Allez Mimi ! Tiens Fred te voilà ! Ca fait plaisir ça ! Je file, j’ai les cannes ! Je reconnais les virages, les rochers creusés, les arbres. Je suis venue lundi. De jour. Pour m’imprégner de l’arrivée. Je reconnais. La descente est longue. Interminable. J’ai hâte d’arriver !
J’aurais aimé être seule. Pour vivre ce moment plus intensément. Mais il y a foule avec les coureurs du Bourbon. On discute. Cela passe le temps. La ville illuminée est là. Sous nos pieds. Saint Denis. Je l’ai fait ! C’était la Diagonale ! La Diagonale ! Oui !
Le stade est là. Je pénètre à l’intérieur. Je foule la terre battue en courant. Je sais qu’il y a du monde avec moi, derrière la télé, j’ai vu les messages sur mon téléphone. Je ne suis pas seule. Je cherche Rico dans mon dos et pense l’avoir perdu. Je suis un peu triste. Petit Rico. En fait, il était emmitouflé dans la couverture de survie en boule, je le retrouverais plus tard. Je suis dans l’instant. Je passe la ligne. Vite. Sans vraiment réaliser. C’est terminé. 54h48. Une médaille. Un tee shirt jaune. Apos est là, derrière la ligne. Merci tellement mon petit singe. Lionel est déjà en train de préparer mon assistance pour le Colorado avec Morphée (je suis ta pire hallu mon ti bouchon). Clem doit être en train de rêver de sa Cha Cha qui arrive dans quelques heures. La voix de mes parents au téléphone. Les doux mots de Romain. Tout va très vite. Je ne ressens aucune émotion. Aucune larmes. Pas la force. Je ne réalise vraiment pas ce que je viens de faire. Je suis comme anesthésiée. Mon corps, mes pensées, mes sentiments. Tout était en veille pour une seule chose : avancer.
Je me souviens de bribes. D’instants. De regards. De souffrance aussi. Mais surtout des petits bonheurs. Je me souviens être allée au bout de moi cette nuit là dans Mafate. Avoir douté. M’être accrochée. Je me souviens que je me demandais pourquoi je faisais ça. Et ne pas avoir trouvé de réponse. Je me sens juste profondément vivante quand je fais ça. L’espace de quelques instants, je me sens invincible, immortelle. C’est peut être aussi parfois ma façon à moi de dire je t’aime.
Je suis Milie et j’ai survécu.
Grand Raid de la Réunion – Diagonale des Fous
165 km 9750D+
1310e scratch – 32eSEF
3 Comments
J’ai adoré, et maintenant j’ai vraiment envie d’y aller. Moi aussi je veux me balader dans une nuit sans fin!
Un très grand et beau texte, tout y est, merci SuperMilie !
Waw t’es incroyable Mimie tellement agréable et drôle et touchant de te lire !!!
Et oui c’est dingue ce que le corps est capable de faire, ce regain d’énergie !!