Etait-ce un rêve ? Une hallucination ? Comment décrire les jours que je viens de vivre ? Transmettre les émotions. Les redécouvrir même. Tant il est difficile de les ressentir à nouveau quand on n’est plus vraiment dans l’instant. L’ultra trail a cela de magique qu’il est une sorte de méditation permanente. De communion parfaite entre soi, la nature et le présent. Quand je marche, je cours, je contemple, j’écoute mes sensations, je suis moi. Juste moi.
J’aime être dehors. Le jour. Sous une chaleur harassante. A moitié somnolente. La nuit. Quand le vent froid pénètre chaque partie du corps dénudée. J’aime ne faire qu’un avec le chemin. Je me sens vivante. Oui. Sur ces sentiers mexicains, j’étais en vie. Plus que nulle part ailleurs. Et bordel, qu’est ce que j’ai ri !
Arnulfo. Qui es-tu Arnulfo Quimare ? Toi, la légende vivante. Tu es né pour courir parait-il. Peut être le sommes nous tous un peu aussi ? Tu étais beau et fier avec ta tunique rouge et ton pagne blanc immaculé. Je t’observais. Sans savoir quoi penser. Ce livre, Born to run, je l’ai terminé il y a à peine quelques semaines. Pour tenter de comprendre qui tu es. Qui vous êtes, vous, les Raramuri, les Tarahumaras. Et là. Je suis là. J’ai basculé dans les pages qui défilent. Immergée dans votre culture, plongée dans votre histoire. Souvent, je me dis que ma vie est un miracle, emplie d’une incroyable magie. Suffirait-il d’y croire très fort ? Pour que tout devienne possible.
Sandales huaraches versus baskets. Je regarde les pieds sur cette ligne de départ. Petits sacs bananes versus gros barda de raid. On pourrait presque croire à une blague. Qui sont les plus comiques ? Honnêtement je crois bien que c’est nous qui sommes ridicules ! Quoique je me sente quand même plus à l’aise dans ma jupette que dans les longues jupes colorées des deux indiennes qui nous lâcheront rapidement dans les premières côtes. Allez y les filles, moi, je visite, y a pas le feu au rio !
A Divisadero, j’ai déjà laissé filer tous les coureurs. J’ai décidé de randonner en mode rapidos. Pour une fois, les barrières horaires sont larges et le permettent. 96 heures pour parcourir les 190 kms et 10.000 m d’ascension. Pour une fois je peux envisager les choses tranquillement. Oui cela sera difficile. Mais je veux profiter. Et je sais que je vais le faire. Pas de panique Mimi. C’est le moment de t’imprégner de ce qui t’entoure. Et là, le soleil monte doucement au-dessus du canyon del cobre. Et c’est juste le plus beau matin du monde…
Rien n’est jamais facile. Et en tant que femme, certains handicaps arrivent à un moment où on s’en serait bien passé. Pendant quelques heures, je suis vide, épuisée, ralentie. Mais l’expérience acquise fait que je sais que cet état ne durera que quelques temps. Ensuite le corps reprendra des forces. Et je pourrais avancer en paix.
Peu à peu, le sentier monte. Je quitte les rares habitations de la vallée. Quelques enfants vont je ne sais où. Probablement à l’école. Ils sont tout petits mais gambadent avec une aisance déconcertante. Avec leur petit sac à dos Disney. Les poules chantent. Peu à peu, la civilisation s’éloigne. Je suis toujours au-dessus des pins, à marcher dans la poussière et les cailloux. Des chevaux au milieu du chemin. Et une montée sèche, difficile, éprouvante jusqu’à une croix. Je m’aide de mon bâton de bois, ramassé par hasard un peu avant. Une histoire d’amour de plus de 70 heures démarre avec lui ! Je ne le lâcherai plus à présent. Ma protection contre la faune sauvage et la végétation envahissante. Mon soutien en zone dangereuse, à pics et autres réjouissances. Mon indispensable outil de majorette pour détendre l’atmosphère. Ma hache de guerre quand je me mets en mode commando. Non, je ne te lâcherai plus toi, petit bâton. On part faire une belle balade toi et moi !
Je ferme la marche. Et du coup, je me retrouve avec deux indiens qui ferment la course dans le canyon et assurent notre sécurité dans ces zones inaccessibles. Bon au début, clairement, ça m’énerve. Je suis seule. Oui mais non. Ils me parlent en stéréo dans les oreilles. Telle mon ombre, ils me surveillent, s’arrêtent quand je m’arrête, boivent quand je bois. « De l’air, de l’air, c’est juste une question de survie. Un peu d’air ». Oh les L5, qu’est ce que vous fichez dans ma tête ?! Sortez de là ! Non mais !
Et puis, le temps passe, et je m’habitue à leur présence. Après tout, ils sont sympas et prévenants. Ils me rappellent à l’ordre dès que je sors du balisage rose. Non mais les gars, pas d’affollement, Mimi touriste ! Mimi va juste prendre une photo ! Je pense que je les fais halluciner en plein jour hi hi ! Je suis dans un canyon mexicain avec deux Raramuris. Quand on y pense, c’est mythique !
Le paysage qui défile sous mes yeux est sauvage et attirant. Des rochers immenses. Posés là, comme sur la lune. Je passe à côté. En dessous. Attention aux feuilles. Pas de blague. Ce bruit de clapotis. Enfin. De l’eau ! Je recharge mes flasques au fond du canyon. Petit plaisir rafraichissant. Et je remonte le lit de la rivière complètement asséché. Toujours seule. Toujours épuisée. Impossible de courir avec les kilos que j’ai sur le dos. Impossible de courir tout court. Et j’ai décidé de randonner. Alors arrête de couiner Mimi. Un peu triste à ce moment là d’avoir laissé filer le groupe sans lutter. J’aurais aimé partager la course avec quelqu’un. A cet instant, je me convaincs que la solitude m’a toujours bien réussi. Mais j’avoue, je n’étais pas venue pour ça. Je rêvais d’autre chose. Même si la compagnie des Raramuris m’amuse finalement.
J’arrive sur le plateau. Aride. Blanc. Lumineux. Brûlant. Je vais mieux. Mes douleurs au bas ventre et aux reins ont disparu. L’énergie réintègre mon corps. Comme une petite renaissance. Le CP1 est là. Au milieu de nulle part. Romain vient à ma rencontre. Je ne m’attendais pas à le voir si tôt, je pensais être au 30e kilomètre, je suis au Km 36. Parfait ! Les petites surprises qui donnent le sourire. Jean-François est là aussi. Il me briefe sur la suite de la trace. Sander repart. Medhy s’arrête là pour raisons médicales. Sage décision. J’aurais tellement aimé t’emmener sur mon dos. Bon, OK, je fais très mal la mule. Alors je me dis intérieurement que j’irais au bout. Pour moi. Pour lui. Parce que c’est dégueulasse le Destin parfois. Pourquoi ?
Le Coca m’a requinqué. 6 heures de course ont passé. Mimi est là. Et heureuse d’être là. Les sticks de viande séchée sont pour le moment ma plus belle rencontre du chemin (après mon bâton !). C’est bon ces machins ! Allez zou, c’est parti, y a de la route ma petite dame ! Parce que pour tout vous dire, les Raramuris sont déjà en approche du CP3. Va pas falloir trop trainer si je veux jouer le podium ah ah !
La descente au Rio est technique, glissante, interminable. Des cailloux plus ou moins gros qui roulent. Du sable pour surfer le canyon. Un vent chaud brûlant me fouette le visage et m’étouffe. Bienvenue dans la fournaise. Je reprends des forces, je recharge les batteries. Mais bordel qu’est ce qu’il fait chaud ! Sauna gratuit ! Plus je descends, plus ça me tombe dessus. Mes amis Raramuris me suivent toujours. Avec une mule maintenant ! Il ne m’en faut pas plus pour chantonner… « Elle descend de la montagne avec sa mule… » Et bien les amis, il faut croire que Mimi est en forme et s’amuse toute seule comme une gamine. Et je m’amuse tellement que je ne vois pas toujours les embranchements et m’égare. 500 mètres en trop avant de m’en apercevoir et rebrousser chemin sur ce single en balcon. Et Lolo qui court vers moi en hurlant « Donde va ?!! ». Bon, je ne comprends rien à l’espagnol mais j’ai l’impression que je lui en fais voir de toutes les couleurs hi hi ! Allez Mimi, cent coups de fouet pour la peine ! Car oui, le sentier est bien touffu ! Et ça griffe, ça pique. Tatouée par le canyon. Lacérée par la végétation. De beaux souvenirs en perspective sur les gambettes !
Tiens ! Un envol d’oiseaux verts sublimes. Tiens ! Un cactus géant, mon premier ! Je pense aux proches qui sont loin, de l’autre côté de l’océan. Aucun moyen de communiquer avec eux sur cette course. Coupée du monde. Mais la télépathie fonctionne à plein régime au beau milieu de la Barrancas del Cobre.
Oh mon Dieu, qu’elle est infinie cette descente ! Maman ! Quand est-ce qu’on arrive ? Belles glissades. Triple axel quadruple boucle piqué. Et sans les mains s’il vous plait. Rester vigilante. Concentrée sur ses appuis au milieu du vert, du bleu, du jaune qui m’entourent. La mule s’arrête à une maisonnette perdue là. Un coureur Raramuri attend. Blessé il abandonne ici. Il ne reste donc que Lolo qui me suit derrière. Et je rejoins Sander, le belge aux sandales, la force tranquille. Le rio est là, sous mes yeux. Mais tout en bas !! Bon, là, ça suffit, j’en ai marre. J’ai mal aux jambes, aux épaules. Et il reste… 140 kilomètres. La blague…
Incroyable. Presque féérique. Nous passons dans une grotte immense au fond du canyon. Comme de retour dans un monde préhistorique… Mimi Pierrafeu. Mon esprit est parti loin… Cet endroit est très impressionnant. Grandiose. A la fois rassurant et angoissant par ce qu’il s’y dégage. Et voici enfin le Rio. Un air de paradis perdu. Une plage. Des blocs de roche posés partout. Et cette eau. Limpide. Qui s’écoule doucement. De l’eau. Je la bois sans la purifier. J’ai soif. Je ne peux pas attendre. Quel bonheur d’être ici. Les jambes dans l’eau. Je ne voudrais être nulle part ailleurs à cet instant. Emma et Fabienne sont là elle aussi. Elles font un boulot incroyable pour le documentaire qu’elles tournent. En immersion totale avec nous. Chapeau les filles ! Cette section est loin d’être facile. On est tous embarqués dans un sacré foutoir ah ah !
La nuit tombe. Je longe le rio. J’escalade les rochers à la frontale. La nuit est tombée complètement à présent. Je ne voulais pas traverser le rio dans le noir. Et pourtant, au clair de lune, c’est l’un des moments les plus intenses de la course que je m’apprête à vivre. Dans l’obscurité, je m’enfonce dans l’eau agrippée à la corde. Jusqu’aux cuisses. Elle est fraîche. Il y a un peu de courant. La lune éclaire doucement les entrailles du canyon. Je suis seule. Là. Dans l’eau. Au fin fond du Mexique. A me retenir par ce fil. Je m’arrête au milieu du rio. La vie a plus d’imagination que n’en portent nos rêves… Petite Milie ressemble à une aventurière à cet instant là. Vivante. Perdue dans l’immensité du monde. Sauvage.
Le sentier remonte. En pente raide. Je suis à 700 m d’altitude. Et je n’ai aucune idée du point d’arrivée, huit kilomètres plus haut. Plusieurs heures pour atteindre Guahueyvo. Oui mais combien ? Juste monter. Avancer. S’arrêter quand le corps ne veut plus. Et repartir. Dans la nuit noire, le seul halo de la frontale réduit les perceptions au strict minimum. Visuelles en tout cas. Car le toucher, l’odorat sont démultipliés. Il fait toujours chaud. Je monte trop haut. Où est le balisage ? Je redescends . Et je remonte puisqu’en fait il n’y a pas d’autre route. Apparemment les 10.000 D+ ne me suffisent pas ce soir ! Souvenirs de la mer de glace à Chamonix. Et de cette nuit à lutter contre une barrière horaire après presque 20 heures de course. Mais là, j’ai le temps. Et c’est bien.
Croisement CP2/CP3. Ne pas se tromper. Virer à gauche. Et continuer à monter. Je vois la lumière de Sander en haut au loin. Et celles des filles derrière moi en bas. Allons y. Il y a celles du village en haut aussi. Quelques points oranges. Au milieu du néant obscur. Tiens du monde ! C’est Delphine et Benoît, les inséparables ! D’un même pas alerte, ils redescendent déjà vers le CP3 et vont se fondre dans le canyon dans le noir. Ah non, très peu pour moi, je veux tout voir de jour demain matin. Bisous les jeunes !
Je continue l’ascension. Je ne lâche pas. Dans de gros rochers polis ou acérés, je progresse sans moufter. J’essaie de manger un peu. De ne pas me laisser aller. Km 56 en approche. Je me trompe encore de chemin ! J’entends des chiens… Demi tour droite. Pas envie des me faire croquer même si j’ai ma baguette magique, mon bâton de pèlerin !
Ah voilà Charlotte, l’étudiante kiné ! Ca fait plaisir de te voir ma belle ! Terminus. Tout le monde descend. Je retrouve Christelle qui m’attend sur le palier. Elle a quitté le wagon de tête pour profiter au maximum elle aussi et veut qu’on chemine ensemble. Ok ! Deux épicuriennes chez les Raramuris, ça devrait coller !
Tout le monde dort sur le sol de la salle de classe. Le CP est dans une école, c’est amusant. Catherine, longtemps en tête, a subi une grosse insolation. Bertrand se réveille régulièrement, ses crampes le chatouillent sérieusement. Sander repose son dos, bloqué la veille par accident. L’hôpital de guerre est ouvert ! Mimi et Cricri sont pas si mal ! Au milieu des araignées. Partout. Oh, pas le courage d’avoir peur. Une fois Emma et Fabienne arrivées à bon port, je sombre dans les bras de Morphée. Environ 3 bonnes heures de sommeil et de courbatures.
CP2. 6 heures d’arrêt… Après une bonne petite paella lyophilisée au réveil, me voici requinquée et d’attaque pour une nouvelle journée qui va commencer. Le binôme infernal est constitué, c’est parti ! Une toute autre aventure démarre. Il est 5 heures du matin. La Barranca s’éveille… Une douce douleur aux tendons aussi…
A suivre…
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