Je vole. Mes pieds ne touchent plus le sol. Ou plutôt si. Ils ne font plus qu’un avec ces cailloux, cette roche grisâtre. Aérienne. J’avance vite. Je cours. Encore et toujours. Je joue avec les pierres de toutes les formes, de toutes les tailles. Seule avec ma solitude. Seule avec mon extase. Car oui, je suis dans les nuages. Des hormones de plaisir sûrement. Mais un horizon et une sensation de plénitude et de légèreté surtout. Je cours sur ce sentier en balcon et j’oublie tout. Est-ce le cirque de Navacelles ? Non pas encore. Je suis au-dessus des Gorges de la Vis et je sillonne. Plus un coureur dans mon champ de vision. Je revis. Quel plaisir au coeur de l’effort. Comme shootée. Et bam. Tellement aérienne que je me retrouve étalée sur le sol dans le bois de Calo rouge. Ça pique. Du sang sur le genou et les paumes. Mais rien de grave. Un p’tit bibi comme on dit. Il faut croire que je cours vraiment ces dernières semaines car c’est la troisième chute en moins de deux mois. Bien joué Mimi. Bon. Restons concentrée car le sentier en balcon reprend et cette fois-ci hors de question de dévaler dans la pente, ça ne pardonnerait pas. Je prends ça comme un avertissement. C’est d’ailleurs avec un « on va devoir commencer à lever les pieds maintenant » que je suis rejointe juste après par Inès. On va faire attention à présent oui. Arrête ton cirque Mimi et regarde où tu mets les pieds !
Cela faisait longtemps. Très longtemps. Depuis 2018, j’avais un peu arrêté de courir. Beaucoup même. Les ultras de montagne ne me demandaient pas vraiment de m’entraîner à cela. J’allais en montagne. Et c’est tout. 2019 en dents de scie. Des sommets, de l’altitude. La tête ailleurs. Là haut. Arrivée en touriste sur la Ronda des Cims et le Tor des Géants. Puis l’Ultra Run Rajasthan 250 km que je terminais celui là mais toujours en mode randonneuse. Je croyais que c’en était définitivement terminé des galopades en sentier. Quelques projets tout de même en 2020. Mais ne nécessitant pas de courir vraiment. La facilité (pour moi), le dénivelé. Et puis après, le coup d’arrêt réel et total. Du sport. Six mois sans rondo, sans footing, sans rien. Un vrai choix. Pas du tout dicté par le confinement. Qui arrivait à point. Synchro avec mes besoins de m’isoler et me recentrer.
Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais un jour en observant ces vieilles médailles sur l’étagère de mon bureau, j’ai même pensé que tout cela n’avait pas existé, que ce n’était qu’une imposture, un coup de chance. L’impression que c’était fini pour toujours. Que je ne serais plus jamais capable de faire tout ça. Je suis têtue. Alors j’ai voulu voir. Et j’ai surtout eu quelques envies. La Backyard Ultra de Pavilly a fini de me convaincre cet été. En touriste encore une fois. Mais OK. Sans entrainement, je peux refaire 60 bornes en courant. En étant certes bien crevée à l’arrivée. Mais motivée et fière comme jamais. Alors voyons voir si la randonneuse peut retrouver la guerrière en elle. Et allons courir Mimi ! Le Ceven’trail me tendait les bras grands ouverts. Pas mal de rendez-vous manqués il y a quelques années. Cette fois-ci, c’est la bonne. Sur le 63 km. Pas l’ultra. Pas après pas. Ne pas griller les étapes. Faire mes preuves. Gonfler ma confiance. Forger mon corps. Les grandes retrouvailles.
Départ au Vigan. Musique. Percussions. Fond de peloton. Je déteste ça. Courir en peloton. L’impression de ne pas avancer. D’être si lente derrière. Garder mon propre rythme. Ravaler ma fierté. Non, je ne serai jamais devant. Ce n’est pas ma place. Je retrouverai certains, c’est sûr. Mais pas tout de suite. Et je meurs de chaud. Pendant cinq ou six kilomètres, je doute, je regrette. Mes bâtons sagement laissés dans ma chambre. Idiote. Tu voulais faire ta maligne. Plus forte que les autres Mimi ? Alors assume maintenant ! Trop chaud. Je voudrais être seule avec mes démons.
Les petites montagnes me ravissent. J’entre dans ma bulle. J’essaie de faire abstraction et de me plonger dans le vert environnant.Tic tic tic. Saletés de bâtons. Il n’y a pas à dire, ça aide ces béquilles. Je vais doucement redécouvrir mon dos, mes abdos. Des sensations oubliées. Ça va secouer là dedans on dirait ! Les petites ruelles pavées et maisons de pierres sont splendides. Aulas. Serres… Ça monte. Ça descend. Je rejoins une autre coureuse sans bâtons. Dans ma tête, je me dis qu’il n’y a bien que les filles pour s’infliger ça ah ah ! Et je lui souris. L’ascension vers le col de Mouzoules est un peu plus raide, j’aime ça. La pente. Il y a toujours quelqu’un d’adorable aux intersections. Un petit mot d’encouragement. Un sourire. Et hop. Toujours relancer. Ne jamais se laisser aller à marcher. Je me le suis interdit. Non mais oh !
Menhir. 1h30 de course. Mon stress s’est un peu dissipé mais j’ai toujours peur de cette barrière horaire. La première est toujours la plus compliquée pour moi. Je mets un peu de temps à me sentir bien. Il me faut 2 à 3 heures pour lancer la machine. D’où peut être ce goût prononcé pour les longues distances. Le plateau est sublime. Un petit sentier de crête après le bois. Avec ces couleurs douces de l’automne qui s’installe. Ces herbes jaunies qui renvoient la lumière et ce chemin gris ardoise. Les nuages sont rentrés. Je les bénis. La température est idéale à présent. Sauvée. Je commence à doubler un peu. C’est bon signe. Impression de déjà vécu. Oui c’est bon signe.
Je plonge vers Arre. J’adore ça. Je dévale dans les cailloux qui roulent. L’impression de danser. Je serai curieuse de me voir à cet instant. La sensation de maîtriser chacun de mes pas, en équilibre instable. Solide. Un village en bas. Arre. Le voici enfin ce ravito. 2h20 de course. Exactement ce que j’avais prévu. Bien vu ! 10 minutes maxi pour me requinquer. Il y a un peu de monde. Je ne suis pas du tout larguée finalement. Et pas mal de coureurs du 100 km bien amochés on dirait. Je mange. Je bois. Pas un mot. Dans mon petit coin. Ça y est. Désormais, ça va vraiment commencer. Je monte sur un ring virtuel. Et je souris intérieurement.
C’est l’heure du barbecue. Ça fume de partout. Je longe l’aire, passe un pont roman pittoresque, me hisse vers l’église par un petit raidillon où je cours, je suis joueuse. Pas longtemps ah ah. Et une belle et longue ascension va vraiment me rappeler que j’ai des lombaires. Peu à peu, virage après virage, le petit groupe s’étire, se rejoint. Tic tic tic. Et si j’assumais ce type et que je lui volais ces bâtons ? Tais toi Mimi et avance.
Est-ce donc cela le Causse ? Cela y ressemble bien en tout cas. Un beau plateau caillouteux avec une végétation rase. Petit vent de fraicheur. L’hiver doit être rude ici. La couleur terne met le ciel bleu et les nuages blancs en valeur. Je cours. Ne pas se laisser influencer par les autres. Je double. Et j’avance. Une bonne petite fillette et des quarts de pommes du Vigan au Quintalet. Au milieu des chevaux. Et c’est reparti pour la section que j’ai préférée je crois. Le Causse toujours. Des pistes. Interminables. Où le cerveau doit être mis à l’arrêt. Puis ce fameux sentier en balcon qui domine la Vis qu’on devine au loin en contrebas. Quels instants magiques. Après une portion de route, je replonge sur le sentier qui mène au Moulin de Foux. Une résurgence karstique phénoménale. Mimi touriste est (encore) de retour. Des dalles rocheuses un peu glissantes. Des falaises creusées par le temps. Mais déjà il faut repartir et longer la Vis. Car Navacelles n’est pas si proche. Comme une randonneuse que je suis, je vérifie la trace du GRP du Tour du Larzac qu’on a l’air de suivre sur mon appli IGN. Pour estimer la distance qu’il me reste pour l’atteindre. 4 ou 5 km à déambuler tantôt dans le bois, tantôt à découvert. C’est touffu. Parfois bien roulant comme on dit. Je double encore. Ça commence à trop marcher messieurs, je pense. Et ça m’encourage encore plus à galoper. Oui je sais, c’est odieux ah ah.
Le voici ce cirque de Navacelles. Je suis au coeur du Grand Site de France. Rencontre. Découverte. Je l’apprivoise à ma façon cet endroit. Pas le temps de visiter le village que me voici dans la pente qui zigzague jusqu’au belvédère de Blandas. Quand arrive donc ce fichu ravito ? Il est presque 17h30 et je ne vois pas la fin de la montée. Elle s’intensifie plus l’on grimpe. Très bien. Droit dans la pente. Ça ira plus vite ! (Maso). Une photographe s’est positionnée au meilleur endroit. C’est Virginie. Je l’aurais sûrement imitée si je n’avais pas de dossard aujourd’hui. Je retrouve quelques bénévoles déjà croisés au moulin. Enfin je crois. Ah la route ! Non ce n’est pas la fin de l’ascension, j’y ai cru. Ça m’aurait étonnée aussi ! Un petit effort et je finis par y arriver. C’est reparti pour le plateau. Bye bye les cirques. La funambule des singles est de retour et se remet à courir. Ça commence à bien tirer au niveau des cuisses. J’ai passé les 40 km et 2000 mD+. Bien joué poulette. Ça revient. Lâche rien.
J’ai presqu’envie de chialer à cet instant là tant je suis fière de moi La sensation du travail accompli. La sensation d’un nouveau départ. La sensation du froid qui tombe aussi. Au ravito du belvédère, j’enfile un petit manches longues. Je prépare la frontale au cas où. Et je me pose encore 10 minutes. Ma règle sur cette course. 10 maxi. 10 mini. Juste le temps d’être bien. Je piquerai bien un roupillon quand même. La lumière qui tombe sûrement. Parce que sinon, une course sur la journée sans faire le tour du cadran c’est quand même le luxe ! Il faut croire que ça fatigue ces conneries ah ah !
Après Blandas, je quitte peu à peu un normand expatrié dans la région (le coup du drapeau c’est quand même merveilleux pour repérer ses compatriotes et j’adore les voir flotter sur les sacs), puis quelques autres coureurs du 100 km qui ralentissent. Je poursuis mes petites foulées du goudron des petites routes de campagne aux pistes. J’enchaine les barrières métalliques du Parc qu’il faut ouvrir et refermer. Je salue les chasseurs qui rentrent à la tombée de la nuit. Et je plonge à fond les ballons (oui bon, tout est relatif après 50 km…) vers le village d’aire que j’aperçois en bas. Je veux arriver avant la nuit au ravito de Bez. Mettre la frontale en repartant. Je n’ai aucune conscience que je viens de faire le tour et que je suis passée dans cette ville quelques heures avant. Toujours aussi bien préparée Mimi !
A la nuit tombée, c’est totalement grisant de courir dans les bois. Je sens la fraicheur qui s’imprègne dans chacun de mes pores. Mais pas assez pour grelotter. Je ressens davantage chaque racine, chaque pierre. Mes sens sont en éveil. Je double une ou deux personnes dans la descente. Je suis seule. J’aime ça. Et je finis par sortir la frontale en remontant sur la route vers Bez. J’y étais presque. Mais j’aurais risqué de me perdre. Il fait si noir.
Je prends mon temps au ravito. Toujours aussi gentils et aux petits soins les bénévoles. Quel boulot c’est pour eux. Et nous qui n’avons que peu de temps et d’énergie pour leur rendre ce qu’ils nous donnent. Valérie, Manu et Thibaut sont venus m’encourager. Des amours ces trois là. Et des têtes déjà croisées qui arrivent dans la salle. Du coup, j’ai tendance à m’installer un peu hi hi. Le naturel revient au galop. Je papote. Ils me chassent. Allez, allez, ça fait plus de 20 minutes que tu es là !
Et c’est reparti dans la petite ville endormie. Il fait si noir et c’est si calme qu’on dirait qu’il est 3 heures du matin. Mais non il est 20 heures. Et je cherche ma route. Une dernière ascension jusque’à Esparon. 400 mD+ et on n’en parle plus Mimi. Je discute avec Laurent « bip bip ». Il sonne de temps en temps, ça me fait marrer c’est sa machine à glycémie. Il réveille la nuit. Poussez vous les scorpions on passe. Apparemment les gars en ont vu hein et c’est l’attraction de la montée. Je me dis, sortez les migales pendant que vous y êtes. De toute façon je pense, ce sera jamais pire que le cobra au Rajasthan. Je peste pour rigoler car on ne voit pas les étoiles, alors ce n’est vraiment pas terrible pour un Trail aux étoiles. Remboursée nom de Dieu ! Je me souviens d’une bascule rocheuse intéressante. Heureusement bien signalée par trois bénévoles, car je ne sais toujours pas ce que je faisais et où passer sur cette dalle dans le noir. J’ai caché les gars qui ne pouvaient plus courir en descente. Telle une éclipse, j’ai filé à toute berzingue. Le Vigan me voilà !
Quel bonheur de gambader en pleine nature la nuit. Ce truc improbable où tu te retrouves en espèce de mini jupe avec une lampe sur le front au beau milieu des ruelles pavées et des escaliers. Un samedi soir. Cavaillac. Que je l’ai aimé ce village éclairé par le jaune or des lampadaires. J’ai cru que j’arrivais. On m’avait dit 3 km de plat. Un peu plus loin des bénévoles m’indiquent arrivée 5 km. Ah non, ça ne va pas recommencer ces histoires de kilométrage ! Ils doivent se tromper. Ma montre dit vrai depuis le début. Ils arrondissent. Ou c’est par la route. Etc. Etc. Etc. Je mouline dans ma tête. Je mouline les jambes. Je me tais et j’avance.
Un quart d’heure après peut être, on m’annonce 3 km. Bordel, c’était donc vrai… OK. Là vous êtes pas drôles les gars. J’aime les surprises mais il ne faut pas exagérer. Je longe une route (pittoresque glissière de sécurité à escalader ahah histoire de rester bloquée à califourchon dessus, mais ça passe), puis le chemin de la rivière. Mais où est ce fichu Vigan ? 21h20. On m’annonce 10 minutes. Puis 300 mètres. Puis 500 mètres. Je vais les tuer ah ah. Et je finis par arriver en ville. Une rue montante. Ah non pas sympa là. J’ai couru tout du long, on va croire que je termine en marchant. Je m’y remets. C’est vrai que c’est l’arrivée des JO à 21h30 dans les rues du Vigan, Emilie. On n’attend que toi, c’est bien connu ahah !! Ça roupille déjà ou quoi ? Où êtes vous ?!
Et puis quelques marches et voilà cette arche. Toute en simplicité, avec les sourires des bénévoles pour m’accompagner. Et voilà. La vie est belle. J’ai réussi mon pari. Je me sens bien. Forte. Sereine. Un peu fatiguée mais sans excès. C’est validé Mimi. Good job ! Tu l’as bien mérité ce joli trophée artisanal. Avec la montagne et l’étoile. Comme celles avec lesquelles je repars dans les yeux. Merci pour le voyage, merci Ceven’trail.
Photographies : Virginie Govignon pour Ceven’trail ; Emilie Dalibert
Ceven’trail – 9 octobre 2021
63 km 2600 mD+
10h33