Là haut entre les picos
Et ce qui devait arriver arriva…Les 5 kilomètres suivants furent, contre toute attente, une vraie bulle d’oxygène, un pur moment de bonheur. Ce sentier, je le reconnais. Je l’ai déjà emprunté il y a deux ans. Il mène au Pico de Areeiro. Encaissé dans les entrailles de l’île, dans le massif montagneux central. Un single en balcon, des escaliers métalliques vertigineux et un peu rouillés (toujours pas d’escalators, et en plus ça va péter sous mes pieds !), des tunnels percés dans la roche (test frontale 2e nuit : ok). Oh que je l’aime cet endroit ! Les souvenirs remontent. 2015. Je vois Romain monter ces marches en courant devant moi. Il se retourne et me dit « allez suis moi ! ». Mais en réalité je suis seule. Il n’y a personne. Il est 18h, les touristes ont déserté le site. Et c’est magique. J’ai la primeur du lieu avec seulement quelques autres foufous.
Les escaliers qui mènent au Pico sont violents, interminables, abruptes. Les photographes sont cachés et se régalent. Nous un peu moins quand on imagine la tête qu’on aura sur les images ! Je ne fais aucun effort depuis ce matin d’ailleurs. Quand ça va bien, je fais le singe, je souris, mais quand ça ne va pas, je n’ai pas pour habitude de faire semblant sur les courses, j’ai hâte de voir le résultat. Là haut, je suis pas mal du tout, ils sont chanceux (vous auriez du venir avant les gars, Mily l’exorciste en haut du Ruivo !).
Bravo Emilie ! Ah ! Des français ! Merci ! C’est toujours chouette d’avoir son nom sur le dossard, ça permet d’entendre ce genre de petits mots doux. Ca réconforte. Et avec le petit drapeau français, j’ai même eu le droit à une Marseillaise tout à l’heure en descendant vers Curral das Freiras. Avec l’accent portugais, c’est joli ! Une dame m’a aussi dit « ça c’est du sport ! ». Dans ma tête, j’ai pensé « ou de la connerie » !
Pico de Areeiro, c’est beau et c’est haut. 1800 m d’altitude. Point culminant de la journée. Ravito. Dodo. Ah nan pas dodo. On verra plus tard. Il est 19h30. J’aimerais bien allumer la frontale le plus loin possible dans la descente. Je retrouve mes oranges et Vincent, le québecois. Jessy, sa copine, a dû abandonner très vite cette nuit à cause de son entorse récente. Il est déçu mais a décidé de poursuivre sa route. J’espère qu’elle va bien. Je n’oublie pas ses mots au départ « t’en fais pas Emilie, ça va bien aller ». Et c’est vrai, malgré tout, ça va bien. Le bayonnais est toujours là lui aussi. On se croise et se recroise sans cesse depuis près de 50 kilomètres ! Comme un repère. J’avale du riz blanc avec un bouillon. Péniblement mais ça passe. Tout finit par passer.
Rien ne dure toute la vie, pas même vos soucis. Ou bien est-ce toutes ces bonnes ondes que je reçois, toutes ces jolies pensées que je découvre furtivement sur mon téléphone ? Et celles que je découvrirais plus tard aussi via Internet. Je sais à quel point cela peut être stressant de suivre quelqu’un à distance sur un ultra via les Live Trail et les Check Points. Alors à chaque fois que mon dossard est scanné, je sais que j’envoie une info rassurante par delà les océans ! Je communique à ma façon ! Merci à vous. De tout mon cœur. Vous vous reconnaîtrez.
L’heure de vérité
Pico de Areeiro. Tu m’as vu. Tu ne me vois plus. Je file dans la descente. J’évite de suivre le rythme devant moi si je le juge un peu en sous régime. Je refuse de commencer à marcher trop souvent même si mes jambes sont parties dans un monde parallèle. La douleur est sacrément atroce. Ca me donne une foulée probablement très esthétique à regarder hi hi. A chaque ravito, je repère le nombre de kilomètres, le profil jusqu’au suivant. Pas après pas. Mètre après mètre. Ravito après ravito. Ne pas penser à l’ensemble. Fractionner. Autant je ne le fais pas à « l’entraînement », autant je « fractionne » en course ! Pas le choix. Sous peine de devenir complètement cinglée !
La descente vers Ribeiro Frio est plaisante. Pas trop pentue au début. Le soleil se couche, l’horizon redevient légèrement rosé. Ce que je redoute le plus ne va pas tarder à arriver. La nuit noire qui crie : viens faire dodo Mimi, c’est l’heure ! Le truc vraiment mesquin, c’est quand le profil est descendant sur la carte et que tu aperçois au loin devant un bon 50-100 m d+ qui te ferait rire d’habitude, mais là, tu as juste envie de pleurer de tout ce sadisme des organisateurs.
Ca y est. Frontale en marche le long d’une levada. L’idée est de ne pas se blesser maintenant, ce serait vraiment crétin. Une petite brume humide fait son apparition. Avec la frontale, je ne sais plus trop où je suis. Le halo donne un air mystérieux. Mes yeux sont aussi embués que le temps. J’atteins Ribeiro Frio épuisée. Je commence à me dire que je vais peut être tenter la micro sieste bientôt. Il reste au moins 6 à 7 heures à tenir. 6 à 7 heures ? Mais allo quoi ! Reste concentrée.
L’heure de vérité a sonné. Les 500 derniers gros d+ à se farcir. Je le sais. Et là, c’est l’Enfer sur Terre. Je me suis transformée en une sorte de zombie. Gentil. Mais zombie quand même. Je n’y arrive pas. Dix pas et j’arrête. Tout le monde me dépasse. J’entends les bâtons qui résonnent. Un mec me dit « let’s go ». Oui. Mais non. Je vais tomber mon gars là. Je suis vide. Si je m’allonge, je m’endors illico, dans le froid et la nuit. Laissez moi mourir ici, mais ne me marchez pas dessus ! Un autre groupe arrive à ma hauteur. Des frenchies. Ah c’est Emilie ! Ca va toujours ? Bah oui tiens, ça ne se voit pas ? Je pète la forme ! Je leur réponds « oui mais j’ai plus de jus ». L’un d’eux me félicite et est épaté que je me sois enfilé tout ce D+ sans bâtons depuis le départ. Les autres acquiescent. Ca fait plaisir… mais j’ai plus de jus quand même !
Après deux heures de lutte, je finis par venir à bout de cette montée aux enfers. Poiso. Si tu ajoutes un n, ça fait poison. C’est ça, une vraie merde quoi ! Le zombie est arrivé au ravito. Il est minuit, Cendrillon s’est transformée en somnambule. Mais qu’est ce qu’on fout là ? Mon lit à l’hôtel est pourtant très confortable. Bordel ! Sous la tente, je ne traîne pas. Les gars, les bénévoles me regardent. C’est vrai qu’on est peu de filles finalement. Ca impressionne toujours un peu la gente masculine, mais oui messieurs on n’est pas en sucre ! Je repars vite. Vu ma forme éblouissante, je préfère assurer le coup au cas où. Même si j’ai de l’avance, rien n’est joué, tout peut arriver. Et il reste 30 km.
Appelez moi Mimi Diniz
Et le miracle se produit à nouveau. 9 km où l’attention doit être permanente dans la nuit. La vigilance imposée me réveille. Le fait de courir me redonne vie. Mes yeux sont de nouveau bien ouverts. Probablement une sorte d’instinct de survie car ce n’est pas le moment de tomber. Incroyable comme tout bascule physiquement. Je suis pleine de vivacité alors qu’il y a une heure, je marchais les yeux fermés, en mode pilotage automatique… Ne rien lâcher. Je vole. Je dépasse. Tut tut klaxon enclenché, poussez vous ! C’est l’un des tronçons où je suis allée le plus vite sur ce MIUT !
A Portela, je retrouve pas mal de têtes connues. On commence à revoir les mêmes. Même mon bayonnais est là tiens ! Un autre me regarde et me dit « elle s’accroche la Emilie ! ». Oh que oui mon gaillard, je ne vais pas laisser filer cette médaille qui m’attend. En revanche, l’euphorie redescend et je m’aperçois de mon état quand je me lève pour aller faire un petit pipi. Je titube à droite, à gauche. Je m’en rends compte. Je me dis, fais attention, les bénévoles pourraient te stopper. En pleine psychose ! N’importe quoi !
Allez hop, je repars en direction de Larano. 5 kilomètres à faire. Une broutille. Au début, c’est roulant comme on dit. Je cours avec une foulée très rasante du plus bel effet. Je dépasse ceux qui marchent en leur disant « je veux mon lit ! ». Ca déroule (façon de parler). En fait, je crois que je me prends plutôt pour Yohann Diniz. Un déhanché d’une élégance rare ! Ma frontale clignote. Changement de batterie, arrêt au stand. Sauf que je n’ai pas de mécano. Et que je suis toute seule au milieu de la forêt en pleine nuit à Madère. Ah oui, c’est vrai tiens, je suis à Madère là ! C’est dingue quand on y pense !
Seule… mais y a du monde !
Sur le profil de course, j’avais bien repéré la descente à pic. Et malheureusement, il n’y avait pas de toboggan, ni de garde corps. Et pas de cuisses et mollets de rechange non plus d’ailleurs ! Une horreur… Je mets les mains pour me retenir. Miraculeux. Jamais un bout de mes fesses n’aura touché le sol. Je gère ! Ma Milie, je t’aime quand tu y crois. Oui, oui, oui, c’est bien de s’encourager. Tout se joue dans la petite tête !
D’ailleurs, il y a du monde là dedans ! Les douces hallucinations apparaissent. Moi, mon truc, ce sont les gens. Je vois des gens partout. Des hommes en costume de ville (logique au milieu des bois!), une femme en tenue folklorique locale. Ils me font peur et me font sursauter à les voir d’un coup sur le bas côté. Je sais que ce sont des branches, des troncs, des poteaux, mais non, je vois des gens ! Applaudissez moi au moins andouilles, mais arrêtez de me faire sursauter ! Merde alors !
Et les pierres sont toutes joliment décorées. Des poissons, des fleurs, des peintures rupestres (mon petit côté Indiana Jones). Non en fait, c’est juste de la mousse, du lichen. Ca y est. Je suis folle dingue. Du coup, à Larano, c’est grand café au check point. Km 103. Quand tout le monde prend son temps et sait que ça va aller au bout. Je me crois au bistro à discuter avec un français du Népal, de l’Aravis Trail, de la Diagonale des Fous. Il me dit que le MIUT est plus difficile selon lui. J’ai entendu ça plusieurs fois aujourd’hui. Me voilà rassurée !
Allez, c’est parti pour 12 km. En vrai j’ai l’impression que ça ne va jamais s’arrêter cette histoire. Et vas y que ça remonte. On se fait quelques marches ? Pourquoi pas. Ca faisait longtemps. Allez, achevez moi sur place !
Me voici maintenant dans les embruns. Nous longeons la mer depuis Larano. La vue doit être merveilleuse de jour, le sentier est étroit, à flanc de falaise. Ne pas tomber. Je suis lucide. Les yeux ouverts. Et puis, on est nombreux avec tous mes amis imaginaires ! Ce dont je suis sûre, ce sont ces petits papillons blancs qui viennent me heurter le visage de temps à autre, probablement attirés par la lumière de ma frontale. Et de ce petit mulot (ou un rat des champs, c’est gros ce machin quand même ?). Ceux là, ils étaient réels !
Les odeurs de fleurs sont de retour aussi. Le petit zombie a encore ses sens en éveil, c’est rassurant. Mais qu’est ce que j’en ai marre de ces faux plats… En contrebas, au loin, des lumières. Je pense reconnaître Caniçal. Machico, j’arrive !
Toute une vie
Dernier check point. 4,3 km avant « finish ». Personne ne s’arrête devant moi. Moi si. Envie de profiter de la dernière heure… De donner un peu aux bénévoles qui nous ont tout donné. Une organisation parfaite ce MIUT. Merci pour tout. Vraiment.
Et je repars le long de la levada qui va tranquillement m’amener vers Machico par les hauteurs de la ville. Quelle émotion quand je la vois apparaître juste en bas… Je reconnais son rivage. Je m’arrête. J’observe dans le silence. La vie est belle ! Je regarde le ciel et pense à cette étoile qui brille depuis peu au dessus de nos têtes. Et je réalise que ça y est, je l’ai fait. Je sors mon téléphone pour immortaliser l’instant et je découvre des messages qui me touchent. Dans l’un d’eux, il est écrit, « tu es grandiose ». Non je ne pleurerai pas ! De toute façon, je n’en ai pas la force. Et il y a ceux de mes parents. Ils ont mis le réveil et sont debout. Ils n’ont pas beaucoup dormi en fait. Ils attendent mon arrivée en live sur Internet, une caméra est postée sur la ligne en permanence. Enorme ! C’est dimanche quand même ! Ils sont cinglés, j’adore !
Il est 5 heures, Machico s’éveille (pas vraiment) et je n’ai pas sommeil (enfin si). Je vole le long de la levada. J’ai Rico, mon petit panda, qui fait le fier dans ma main. Comme toujours. Je sais que je suis attendue virtuellement sur la ligne, quel bonheur ! Je pensais pleurer de joie. A la place, j’ai un sourire immense vissé au visage. Avec mes petits yeux de mort vivante. Dernière descente. Herbeuse. Humide. Casse gueule. Non mais franchement les organisateurs ? Vous voulez quoi au juste ? Nous dégouter ? Nous vendre un abonnement à l’hosto ou quoi ? Non, non, non. Ca ne prend pas avec moi ce petit jeu. Je file. Je cours !
Tout se mélange dans ma tête. Je parle tout fort dans la ville endormie. Bien joué Milie. Ce moment, profites en, il est à toi et rien qu’à toi. Une femme et ses enfants m’applaudissent en descendant les derniers escaliers. Allez tu as fait le plus dur. Sans blague ah ah !
Je longe la plage. Et je passe cette ligne. Rapidement. On me met la médaille autour du cou. Je me dis qu’elle est sacrément lourde ! Juste derrière, ce sont les sourires complices. Inutile de parler, nous savons très bien ce que nous avons tous vécu. On ne peut pas tricher en ultra. Ni avec soi. Ni avec les autres. Ce sont ces moments que j’aime. Soudés à jamais.
29h58. J’ai vécu toute une vie pendant ces 29h58. Et merde, qu’est ce que j’aime ça !
En arrivant à l’hôtel, j’ai enlevé mon bracelet fétiche et il s’est brisé. La corde a lâché. Elle a attendu que le MIUT soit terminé. Un signe du destin ? Oui ! Une nouvelle ère commence. Celle des 2e nuits ah ah ! Il va falloir que je me trouve un autre bracelet…
P.S : désolé encore pour le taxi qui m’a ramené à l’hôtel, il doit toujours être en cours de décontamination hi hi !
P.S 2 : ne me parlez pas d’escaliers pendant 10 jours, je suis en désintoxication.
P.S 3 : il faut que je vous raconte quand même… Savez vous qu’il y avait une petite fille asiatique toute mignonne avec ses petits cheveux courts tout noirs, assise sur le trottoir en face de ma chambre d’hôtel ? En très jolie petite robe rouge. Mais en m’approchant à deux mètres, ah non, ce n’était que… la bouche incendie ! Allez vas te coucher Mimi !!!
Madeira Island Ultra Trail – 115 km 7100 D+
Ultra Trail World Tour – 22 avril 2017
Chrono : 29h58 – Scratch : 531/787 – SEF : 22/37
1 Comment
Bonjour
Je suis un ami de Céline Jolly et ultratrailer.
Je vous joins l’adresse de mon blog avec quelques récits de mes courses que vous pourrez lire
Je vais également lire le votre.
Au plaisir
J’ai participé au 174 km du radicatrail ce week-end.