Vous êtes toujours avec Sissi et moi à Kio Bua Ha au coeur des montagnes et de la jungle ? Alors on y retourne, les enfants du village nous attendent ! Je vous laisse rouvrir mon carnet de voyage. Mais c’est bien parce que c’est vous… Suite et fin de mon aventure thaïlandaise.
Dimanche 20 novembre 2016, 19h33, sur le tarmac de l’aéroport de Chiang Mai, Thaïlande
Cette soirée m’a rappelé tellement de souvenirs, de sensations, d’émotions. Une fois installées dans nos familles, nous sommes retournées diner sur la terrasse aménagée pour l’occasion. Une petite dizaine d’enfants était là, cachés, à nous attendre pour nous surprendre en criant hello ! Ces visages avec ce regard si profond, si intense, ces petites têtes aux cheveux si noirs et si raides, ces rires si innocents, j’ai fait un bond dans le passé. J’ai revu les visages et les sourires de Suri et Arsianipitri, de tous les gosses d’Ekas Bay à Lombok. Ces gosses, c’était mes journées, mes soirées, mes semaines, mes mois en cette année 2004. Cela fait si longtemps à présent, ils doivent être si grands, de jeunes adultes, sûrement déjà mariés depuis belle lurette. Et là, ici, au milieu des montagnes du Nord de la Thaïlande, ils me manquent tellement. Alors je joue un peu avec eux et ils rient encore plus fort.
Le diner était certainement le meilleur de tous. Des mets simples, préparés toute l’après-midi. Le plein de légumes de toutes les couleurs, de poulet et d’ananas. Mille saveurs qui surprennent encore mes papilles pourtant habituées à cette cuisine du sud est asiatique.
Il est 19h30. Allons dormir ah ah ! Moi qui suis plutôt une femme du soir et de la nuit, j’ai toujours apprécié en voyage, quand on est un peu isolés, de vivre avec le soleil. C’est tellement plus simple.
Notre famille de ce soir vit dans une bien jolie maison. Nous dormons dans la pièce de vie à l’étage où ont été installés huit matelas au sol. Les couvertures sentent le moisi (merci le taux d’humidité !) mais tout est très propre. En bois comme hier. La salle d’eau est même carrelée au sol. Le village est raccordé au réseau électrique, ce qui doit leur faciliter grandement la vie. Tant mieux. Vivre au générateur n’est pas toujours l’idéal.
La famille dort dans la pièce à côté, c’est amusant d’être tous ensemble. Je n’arrive pas à partir dans les bras de Morphée ce soir. Une rhume carabiné couplé à un mal de gorge très pénible. Ce n’est pas très douloureux mais ça m’empêche de rêver. Je finirais par sombrer vers minuit.
A 3 heures, le coq chante. Il fait nuit noire. Tout est normal. Quand je vous dis qu’ici c’est comme ma vie indonésienne ! La nuit reste courte car le réveil est chaque jour à 4h30. Le dortoir prend alors un petit air de chemin de Saint Jacques avec les suisses et norvégiennes qui s’affairent sur leurs pieds avec pansements, bandes et tout l’attirail du parfait trekkeur !
Je file au petit déj. L’eau chauffe dans la bouilloire sur le feu de bois. J’aime ce bruit dès le matin, sentir la chaleur de la braise. La femme est timide quand je lui donne les petites Tours Eiffel en porte clef que j’ai apportées. Hier, j’ai montré une photo au chef de famille pour être sûre qu’il comprenait bien ce que c’était. Les villes ne sont pas si loin, ils lisent le journal, ce sont des tribus ethniques des montagnes un peu reculées, mais je suis sûre qu’ils connaissent la Tour Eiffel.
Une assiette de riz, des oeufs au plat et en omelette ainsi qu’une soupe de légumes. Voilà le petit déjeuner qu’il nous faut pour attaquer en forme la journée de course avec le plus de dénivelé. Un dernier stop à la salle d’eau, j’adore me servir du petit bac pour prendre l’eau froide dans la grosse bassine et la jeter dans les toilettes pour faire chasse d’eau. Et surtout pour me laver. A l’ancienne. C’est sommaire. Mais très économique en eau ! Je crois que les filles leur ont vidé leur cuve car la plupart se lavaient au tuyau. Choc des cultures !
Un dernier au revoir aux enfants et surtout à cette petite fille si attachante qui me suit depuis la maison et se colle contre moi. Qu’elle est belle avec ses grands yeux noirs et son air malicieux.
Nous prenons le départ de la Princess au bord de la rivière. Nous sommes huit ce matin. Certaines ont basculé sur le petit parcours, trop épuisées des deux jours précédents. Rapidement, nous mettons les pieds dans l’eau. Il faut sans cesse traverser et sillonner entre les rochers en restant vigilantes car ça glisse. Le courant est un peu plus fort par endroit. Nous avons de l’eau froide jusqu’aux chevilles. Pas plus si l’on fait attention. Le sentier est sauvage. Avec l’humidité, cela laisse une atmosphère très spéciale. Nous sommes dans une petite brume au milieu des fougères.
Après la cascade, nous montons très rapidement. Il faut mettre les mains, s’agripper aux pierres. La terre est mouillée, rouge. J’adore ce moment. J’aime quand ça grimpe très sec, quand la difficulté est là, quand il faut pousser sur ses cuisses. On prend vite de l’altitude. Sissi mène le bal (facile celle là hi hi !). Elle grimpe d’un bon pas, je suis sans trop souffrir à un rythme moins soutenu. Nous commençons à voir les rayons du soleil percer à travers les arbres. C’est une vision magique. Un très beau matin… Nous sommes comme protégées par la jungle. Cette végétation luxuriante est vraiment incroyable. Je n’arrête pas de m’arrêter prendre des photos, ça l’amuse. Elle doit me prendre pour une randonneuse ah ah !
Nous passons progressivement au-dessus des nuages. C’est fabuleux cette vue. Nous sommes environ à 1300 m d’altitude à présent. Nous avons pris peut être 500 à 600 m de dénivelé positif en 2 ou 3 km. Joli ! Pierre filme notre arrivée au sommet. Nous avons aussi la GoPro avec nous pour prendre quelques séquences. Cela va être un sacré souvenir…
Au village, il y a déjà le premier ravito. Il est temps de ressortir lunettes de soleil et casquette, le soleil est là, la chaleur monte. Nous repartons avec Sissi sur une sorte de piste qui sillonne le long de la montagne. Un faux plat descendant qui réveille mes quadri. Aaahhh les courbatures commencent à se faire sentir… Les marquages sont là. Tout va bien. Le balisage est très bien fait. Impossible de se perdre.
Nous repassons dans un petit village où les gens nous observent un peu surpris. Des chiens nous suivent. Ils galopent. Et c’est parti pour la deuxième ascension de la journée. Près de 1000 m D+. Lentement mais sûrement. Avec ce rhume, pas évident de respirer… Mais ça avance. Au milieu des feuilles mortes, des racines, des pierres. Des vaches dans la pente. Effrayées. Nous aussi. Mais que font-elles ici ? Pas de coups de papattes les filles hein ! On ne bouge pas et poussez vos fesses !
Justement, on pourra dire que j’aurais vu les fesses de Sissi tout au long de ces trois jours ! Elle m’impressionne par sa facilité, une vraie gazelle ! J’apprends beaucoup à l’observer. Sa foulée, son rythme, sa façon de s’alimenter en course, de gérer les pauses aux ravitos. Je suis si différente et pourtant ça colle bien entre nous. La même simplicité, pas trop de chichis je crois, faciles à vivre. Dans la montée, elle s’arrête et je l’entends m’encourager et crier « allez Mimi, allez Mimi, allez ! ». C’est dur mais ça me fait sourire. Des petits replats sont là pour permettre de souffler mais les cuisses souffrent quand il faut se remettre à courir. Allez, on y va, on se force ma belle. Ne déçois pas ta coéquipière.
La fin de l’ascension est très pentue, c’est magnifique. Seb est là, il nous devance et nous filme. Il va rester au sommet pour s’assurer que les filles vont bien. Le panorama est époustouflant. Des montagnes tout autour de nous qui jouent avec les nuages. Nous sommes au point culminant à plus de 1700 m d’altitude. Voilà pourquoi nous courons. Pour partager des moments comme celui là.
Sissi est déjà repartie vers la descente, allez ne trainons pas, restons seules en tête. Ne nous faisons pas rattraper par les filles de la Queen ! C’est très abrupte, glissant, le vide à gauche. Je me retiens aux branchages et aux feuilles. Mais très vite, on peut courir. Aie aie aie mes cuisses, ça chatouille bien là ! Nous sommes dans un sous bois, le sol est de mousse et d’épines, un vrai tapis confortable. On adore toutes les deux galoper ici. On se régale littéralement. Quelle chance nous avons. Et peut être moi encore plus.
Nous descendons vers le ravito… qui n’arrive pas… toujours pas… Etrange. Sissi filme. Je filme. Non c’est bizarre. Cela fait trop longtemps que je n’ai pas vu l’écharpe orange attachée aux arbres. Je sors mon téléphone avec la trace GPS et surprise ! Nous sommes à environ 3 km de la trace ! A l’ouest !! Dans les deux sens du terme. Mince ! Comment est-ce possible ? Sissi ! Remonte ! Demi tour toute ! Et nous voilà en train de reprendre le sentier en sens inverse. C’est énervant. Nous ne sommes pas perdues mais on perd du temps et des kilomètres !
30 minutes plus tard et plus haut, nous revoilà au croisement. Une croix en face, une écharpe à gauche. C’était pourtant le bon chemin ?!! Voici Leslie et Mélanie qui arrivent et veulent le suivre. Non non non ! Venez par ici ! Je suis sûre de moi mais j’hésite à intervertir le balisage. Et si c’était la trace GPS le problème ?? Suivons la tout de même et voyons ce que ça donne… On préviendra au ravito. Quatre kilomètres plus tard, en contrebas, le voilà enfin ce ravito ! Youhou ! Sauvées !
Katherine est là pour nous accueillir. Tiens encore des militaires qui nous prennent en photo ! Nous sommes l’attraction du moment ! Pastèques + ananas = explosion de bonheur pour les papilles ! Katherine est soucieuse, elle finit par nous dire que l’on va devoir attendre ici une heure. Et finit même par lâcher qu’on a 99 % de chance que les agents du parc national nous bloquent et stoppent la course. Voilà. L’aventure a pris fin comme ça. Par surprise. Comme elle avait commencé…
Déçue une minute, mais c’est tellement local ce genre de choses et puis cette arrivée ici, ce point de vue merveilleux nous font tout oublier. Cet endroit est idyllique. Je dévore ma quinzième portion de pastèque quand je rappelle à Katherine que le balisage est incorrect. Hop, nous montons en voiture ensemble puis terminons à pied pour aller corriger tout ça. Inutile que d’autres filles se perdent. Antoine et l’équipe suisse viennent justement d’en faire l’expérience et sont là au croisement. Ils sont avec l’équipe chinoise. Je remonte dans le 4×4 et finalement stop ! Je décide de redescendre en courant avec eux pour les quatre derniers kilomètres (bis repetita). Je veux mon arrivée. Je veux profiter une dernière fois de la Thaïlande en galopant malgré mes douleurs aux cuisses. Quel plaisir à cet instant là. J’ai un sourire infini et les larmes aux yeux.
Ces larmes aux yeux qui vont avoir du mal à me quitter tout au long de l’après-midi. Les filles arrivent les unes après les autres. Applaudissements tellement chaleureux à chaque fois. Certaines en pleurs à cause de leurs douleurs. Seb arrive en dernier sous les hip hip hip hourra des coureuses. Il est ému, déçu par cette arrivée avortée. Mais peu importe.
Le plaisir ne se mesure pas au nombre de kilomètres qui s’inscrit sur nos montres. Il est là le plaisir, dans nos yeux, sur nos visages, dans ce partage d’émotions. Ensemble, nous sommes fortes. Ensemble, nous avons vécu un long voyage à pied en dormant chez les tribus des montagnes, en nous lavant à l’eau froide, en partageant nos repas, en nous soutenant les unes les autres. Des liens se sont tissés, des souvenirs se sont ancrés profondément dans nos coeurs. Nous avons toutes forcément grandi après ces trois jours de course. A nous d’en faire quelque chose à présent. Comme les Sisu Girls qui ont financé la construction d’un stade de foot pour les enfants dans l’un des villages traversés. Les petits sont d’ailleurs venus nous voir à l’arrivée et ont reçu maillots et ballons, sourires aux lèvres. Elles sont parfaites ces Sisu !
Retour à Chiang Mai. 3h30 de sengteo sur des routes défoncées. Ah tiens au fait, les chiens nous suivent toujours ! Pendant plus d’une heure ! Increvables ! Les agents du parc aussi, une vraie escorte… Le retour en ville est violent. De nuit. Le bruit. La chaleur. La pollution. Une chape de plomb s’abat sur nos corps fatigués.
Et les petits plaisirs simples de la vie… Comme la douche chaude par exemple, les toilettes à l’anglaise. Mais juste un peu plus de confort car pour le reste, nous avions tout. Nous étions ensemble.
Et ensemble, nous arborons toutes fièrement notre magnifique bracelet en argent Queen of the Jungle. Seb a vraiment pensé à tout et fait les choses bien. Quelle expérience inoubliable…
Dimanche 20 novembre 2016, autour de minuit, sur le tarmac de l’aéroport de Guangzhou, Chine
Retour à la civilisation et messages aux proches. J’avais coupé toute communication extérieure pendant trois jours. Pour vivre le moment. Intensément. Vivre au présent. Avec ceux qui m’entouraient. Egoïstement peut être. Mais pleinement. Pas de SMS. Pas envie d’être abrutie par les réseaux sociaux. Pas envie de me dire que le téléphone portable est indispensable aujourd’hui. Mon carnet de voyage oui. Pas autre chose. Après tout, j’ai survécu à cinq mois au fin fond de l’Indonésie avec très peu de contacts. Et avec du recul je sais que c’est ce qui avait rendu cette expérience si violente, si prenante, si forte.
Ce matin, une dernière partie de rigolade nous attendait Sissi et moi. Un massage sport. C’est bien ce qu’il nous fallait non ?! Les Thai savent y faire. Du bien ?! Non !!!! Ca nous a fait crier, oh mon Dieu, on a gémi, hurlé, agonisé ! Et elles continuaient de plus belle. Les muscles endoloris par la course, c’était un vrai bonheur…
Quelques heures plus tard, direction l’aéroport.
Le décollage est toujours un moment très particulier pour moi. J’adore cet instant où on accélère, où l’avion bouge, où l’on sent sa puissance. Et c’est souvent une très belle métaphore de mon émotion du moment en général. Ce soir à Chiang Mai, j’ai fondu en larmes dans l’avion. Seule. Comme une petite madeleine. Tout m’est revenu. En instantanés. En accéléré. En différé. Je voyais la ville disparaître sous mes yeux et je me souvenais de mon arrivée six jours plus tôt. Si peu de temps a passé et j’ai l’impression d’être restée une éternité. J’étais à l’aise ici. Comme à la maison. Et on retourne toujours à la maison non ?!!
Queen of The Jungle, Chiang Mai, Thaïlande
17-19 novembre 2016
Course à étapes en duo avec Sylvaine “Sissi” Cussot
Concours i-Run
1 Comment
Magnifique aventure
Que de bons souvenirs ce voyage