J’ai tout de suite su que je ferais cette course. A peine avais-je vu le parcours l’été dernier que je m’imaginais déjà sillonner l’Auvergne. Car ici, c’est un peu chez moi. Mes parents y sont venus si souvent, de leur enfance à leur jeune vie de couple, ils ont tellement aimé le Puy de Dôme que je suis arrivée un peu plus de huit mois plus tard ! Et après, nous n’avons jamais cessé d’y retourner. J’ai grandi ici chaque été, en vivant pleinement la montagne. Alternant avec le Cantal, la Haute Loire mais aussi les Hautes Alpes un peu plus loin.
Alors quand j’ai vu tous ces noms de points de passage… Sancy, Chaudefour, Croix Morand, La Bourboule… je n’ai pas pu passer à côté. 60 km ? J’avais déjà bouclé 36 km à l’Interlac trail 2014 alors pourquoi pas ? Ni une, ni deux, inutile de réfléchir. Inscription validée.
Me voici donc au Mont-Dore. Veille de la course. Le soleil sera de la partie, c’est une certitude. Interrogations quant à la tenue. Entre collant long et short mon cœur balance… Pour le reste, tout devrait bien se passer. Je suis fatiguée et un peu tendue, mais je réagis toujours comme ça avant une course. Le petit trac, le stress des grands évènements !
Il est 3h33. Le réveil sonne. La nuit a été un peu agitée. Première pensée : ça y est Milie, c’est le grand jour. Les records doivent tomber aujourd’hui: kilométrage, dénivelé, temps de course. Si tout se passe bien.
Dans la nuit noire du Mont-Dore, il est temps de rejoindre la ligne de départ. Même si cela fait maintenant 18 mois que je m’accroche un dossard sur le ventre, je suis toujours impressionnée par cette foule très masculine, suréquipée et concentrée. Suis-je à ma place ici ? Aux portes de l’ultra comme le dit le programme ?
Courir à la frontale a quelque chose de mystique. Surtout avec la mienne et son micro halo de lumière. La fraîcheur de l’air, les ombres, les pierres, les pentes et les cimes herbeuses du Capucin… tout révèle une atmosphère mystérieuse, je me sens bien, précise dans mes pas, mais libre aussi. La forêt m’enveloppe de ses odeurs, son humidité et peu à peu la nuit s’éclipse.
A Chamablanc, le jour s’est levé, la frontale est rangée. Un peu d’eau, de Tucs et d’abricots secs et hop c’est parti pour le Puy Gros, première difficulté. Pour l’encouragement, rien de mieux que des petites embrassades des parents aux Planches avant d’attaquer le sommet. Le vert domine, les vaches nous saluent, tout est calme. Et tout à coup, les bourrasques de vent glacé viennent fouetter mes gambettes. Vais-je regretter le short ? Tant pis, j’aime trop courir les jambes au vent et c’est peut être la dernière fois de l’année…
J’aime cette balade. Ca monte, ça descend, c’est assez roulant comme on dit, puisque j’arrive à courir chaque section de D-. C’est difficile d’exprimer ce qu’on ressent quand on se retrouve là-haut sur les crêtes. Libre ? En vie ? Quand on commence à sentir les cuisses tirer, on se dit que oui, on est bien en vie !
Et hop ravito numéro 2 et première barrière horaire passée sans encombre. Du pain et ça repart. Lieu dit Prends toi garde. Ok je vais prendre garde à moi et mon petit corps qui m’emmène toujours plus loin.
Je repars tranquillement et profite du moment. A vingt mètres du parcours, un détour mène à la cascade du Quereuil. Peu jètent un œil, c’est pourtant superbe. C’est le moment pour moi de reprendre quelques photos et de jouer les paparazzis. On n’est pas à cinq minutes près quand même !
Il paraît que la course commence vraiment ici. Pour moi, elle a commencé depuis trente bornes ! Mais c’est vrai que les cols vont s’enchaîner à présent. Il va falloir être solide et ne pas faiblir. Physiquement et mentalement. Ca commence par la Croix Morand que je franchis avec plaisir. Un peu étrange de retrouver la route et les automobilistes, mais très vite ça reprend vers la Croix Saint Robert. Enchaînement de barrières et petites échelles à escalader pour passer d’une prairie à l’autre. Les cloches résonnent un peu partout. Et déjà c’est la descente vers la 2e barrière horaire. Ca passe, je suis bien. Il y a déjà presque 30 kilomètres que j’ai une douleur à l’intérieur des cuisses, d’habitude elle arrive bien plus tard. Mais ça je peux encaisser et de toute façon je peux tout encaisser, ça passera de toute façon !
Le Puy de l’Angle offre des vues panoramiques incroyables. Je suis bien là-haut. La descente vers le ravito est facile. J’ai confiance en mes pieds, mes cuisses tiennent le choc et je galope vers l’avant. Je double un peu de monde, souvent moins à l’aise dans l’herbe et les les trous, ornières… Moi, j’adore ! Mon corps est comme une batterie que je recharge en descente pour pouvoir monter le prochain col.
En quittant le ravito, je sais que deux grosses séries m’attendent. Je monte doucement mais sûrement au Roc de Cuzeau puis au Puy des Crebasses. Ma montre me lâche. Je cours au feeling à présent, finies les notions d’altitude, de vitesse, d’heure. Juste l’écoute de mon corps… Les crêtes, toujours les crêtes… Je suis aux anges. Les premiers amochés sont là. Contractures, crampes… Certains vont devoir abandonner l’aventure. Beaucoup commencent à marcher, en permanence. Je relance au moindre mètre de plat. Ne pas se laisser séduire par le rythme nonchalant des plus fatigués.
La descente en vallée de Chaudefour est technique par endroits. Mais je cours, je cours. Nous traversons des landes infinies, la végétation est rase. Puis peu à peu, elle se transforme en épicéas et hêtres. C’est humide dans le coin. L’eau n’est pas très loin on dirait. Les chevaux me laissent passer. Cette prairie est féerique. J’ai comme une envie de m’allonger dans l’herbe, à regarder le ciel et écouter la vie passer.
J’ai 1h30 d’avance sur la dernière barrière horaire. Donc en montant tranquillement, c’est bon, je la passerais et j’aurais réussi mon pari. Je n’en doutais pas trop, mais comme ça devient concret, palpable, c’est émouvant ! Pour atteindre le dernier point d’eau, il me faut parcourir 5 km et 550 mD+. Je dois pouvoir l’atteindre en 1h15 sans m’affoler. Tout doux. Plus j’approche cependant, plus je sens mon corps s’affaiblir. Les jambes tiennent le coup, mais je sens qu’il faut que je mange, que je reprenne des forces.
J’aime aussi ce moment où tout tourne au ralenti, où je sens que je repousse mes limites. Mais je sais aussi au fond de moi que ça ira. Qu’il suffit d’être à l’écoute des sensations. J’arrive péniblement au col de la Cabane et j’apprends le nom des champions de France. Un peu d’eau et regonflée à bloc, j’attaque la dernière montée sèche du Sancy. Il est là. Tout prêt. J’aperçois mon père. Beaucoup de monde pour nous encourager. En haut, j’oublie toute ma fatigue.
Le panorama est fabuleux. La récompense. Je comprends que ça y est. Je l’ai fait ! Le vent a disparu comme par magie. Je savoure l’instant. Le sourire jusqu’aux oreilles ne me quittera plus. Je dévale les escaliers, retrouve ma petite maman au pied des marches en bois inégales. Je vole et virevolte. La descente vers la station du Mont-Dore n’est que plaisir. Des monotraces en terre, des pierres, de l’herbe le long d’un ruisseau.
« Il vous reste 4 km ». Déjà la forêt qui descend en lacets. « Allez bravo », « courage », « on n’abandonne pas », « félicitations vraiment ». Tous ces gens, j’ai envie de les embrasser, je les aime. Je suis shootée aux endorphines. Ca descend donc je recharge, je n’ai pas l’impression d’avoir couru 60 bornes. Je sors ma petite mascotte du sac et lui parle (oui je sais, ça se soigne…). Ca y est, Rico, on l’a fait !! Les panneaux s’enchaînent. 3km… 2 km… 1 km.
Au détour d’un virage, on me dit « dernière descente promis ». Je réponds « quoi déjà ?! ». Presque sérieusement tant ça déroule… Et là je vois la première arche gonflable, les barrières métalliques, le tapis rouge (oui oui!!). Les gens crient, félicitent, encouragent. Certains tendent la main. Je vais vite, tout va trop vite, c’est l’euphorie totale ! La ligne est déjà là. Et je n’arrive toujours pas à enlever ce sourire qui me colle au visage ! Une sacrée journée…
Grand Trail du Sancy – 60 km – 3350 m D+
27 septembre 2015
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