Un an que j’attendais ce moment. Il est 8 heures. Je suis dans le sas de départ à Saint Martin d’Uriage. Après le 40 Chartreuse, je m’étais promis de revenir et m’aligner sur le 90 quand le week-end Ut4M touchait à sa fin l’an dernier. Et ça y est. J’y suis. Comme 400 autres coureurs prêts à en découdre avec les massifs de Belledonne et Chartreuse sur un parcours remanié suite aux fortes pluies attendues. La Nature dicte toujours sa loi et c’est très bien comme ça.
Pour la première fois depuis décembre dernier où je pars pour des distances de plus de 80 km, je n’ai pas peur. J’ai hâte d’aller gambader sur les chemins. Juste hâte. Tout comme Marilyn, Karine, Chris et Rémi, mes compagnons du départ. Le speaker annonce la couleur aussi en dévoilant le grand show du habert de la team French Cancan. J’aperçois Stephanie et Céci déjà bien motivées pour s’amuser à ce ravito. Mais ça, c’est une autre histoire…
Le départ est lancé alors que la pluie commence à faire son entrée. Petite butte pour monter au château et redescendre ce qui permet d’étaler le peloton. Je rentre alors très vite dans ma bulle pour ne plus jamais en ressortir vraiment. Certes le parcours de repli est activé, certes nous ne monterons pas à la croix de Chamrousse, au Grand colon et nous ne verrons pas les lacs. Mais à vrai dire, aujourd’hui, j’ai décidé que je m’en fichais royalement. Je suis là. Je vis l’instant à fond. Et à force d’être dans sa bulle, j’en ai oublié une bonne partie du parcours. Ca monte de plus de 1800 mD+ mais ça relance aussi par moment. Je me sens bien, j’y vais tranquillement. Et après deux bonnes heures, je me souviens être entrée dans la station de Chamrousse. Accueillie par ce grand immeuble qui s’appelle Le Vernon. Comme la ville à côté de chez moi en Normandie. Ca ne s’invente pas !
Au ravito, j’entends qu’on m’appelle et je découvre Apos assis à côté. Très fatigué mais encore en vie. En bavardant avec lui, je me dis qu’il va aller au bout de son 160. Bien sûr ce sera difficile. Mais on est un peu là pour ça aussi non ? Il a des acolytes avec lui, ça va le porter. J’espère que tout va bien se passer. Marilyn arrive juste derrière avec le sourire. Tout va bien. Steph et Céci sont déjà reparties. On est au complet !
L’instant montagne dans Belledonne, c’est maintenant. Une courte montée dans le vert avant d’attaquer une très longue descente. Je quitte Apos au sommet en lui disant à demain. Il me répond à tout à l’heure. Je sais qu’il ne me rattrapera pas. La descente lui fera trop mal avec déjà plus de 24 heures et 80km dans les jambes. J’hésite à l’attendre un peu et finalement je file. J’ai ma course à faire, mon plaisir à prendre. Égoïstement. Et c’est justement dans cette descente que la pluie commence à s’abattre au point de sortir la veste imperméable. Attention aux racines, aux pierres, ça glisse. Et sans bâtons s’il vous plaît. Histoire de rigoler un peu ! Une fois les parties un peu casse gueule passées, je me souviens de chemins très roulants jusqu’à Freydières. Un peu de boue, un peu de bosses, mais rien de bien méchant. Pas pire que sur les trails normands en tout cas. Ca déroule et… ça discute ! Je rencontre Stéphanie qui court sur le 160, avec qui je papote un petit moment du Canada. Elle y a vécu trois ans. J’y cours dans trois semaines pour l’Harricana. Ca rapproche ! Nous marchons d’un bon pas sur un faux plat montant, c’est très agréable d’y aller tranquillement. Elle me dit de filer. C’est vrai, il faut que j’avance un peu quand même. J’ai de sacrées bonnes jambes aujourd’hui. Aucune douleur. Mais j’ai pourtant décidé de ne pas faire trop d’efforts. Je profite un maximum. Je la retrouverais finalement le lendemain une fois descendue de son podium V1. Chapeau miss !
Freydières. Ravito sous la grande tente. La pluie bat son plein, il commence à faire plus frais. Je grignote, je n’ai pas encore très faim pour le moment. Les bénévoles sont adorables. Ils nous détaillent le parcours à suivre jusqu’à Saint Nazaire les Eymes, les zones délicates dans la descente. Ils répètent inlassablement la même chose à tous ceux qui arrivent. Je m’assois. Je prends mon temps. Je me strappe sous le genou en espérant ne pas avoir à revivre le calvaire de l’Aravis Trail. Pour le moment, malgré les descentes boueuses, ça tient le coup. J’échange quelques textos avec les proches, j’encourage ceux toujours en course, j’apprends que Thierry a arrêté à Riouperoux suite à une chute. Et surtout je plaisante en disant qu’avec toute cette pluie, je suis dans mon élément finalement ! Vive la Normandie !
Il pleut, il pleut bergère… Je repars tranquillement pour la descente. Certes il faut être vigilant, mais je m’attendais à pire. Et comme le genou tient la route, ce n’est pas un peu de boue qui va m’arrêter ! Je ne sais plus très bien si c’est là ou plus loin, mais je me souviens être passée dans un sentier avec de drôles de panneaux accrochés aux arbres. Des animaux, des histoires… J’ai tout lu avec un sourire idiot collé au visage. Et il y a eu aussi cette vision incroyable du massif de la Chartreuse en face. Tiens c’est là que nous allons ! Je suis surexcitée ! En arrivant au Versoud, surprise, ce n’est pas qu’un point d’eau, il y a aussi… des fruits. Enfin… des fraises tagada et des bananes. Des bonbons quoi ! Et à cet instant, c’est tout ce dont j’ai envie. On plaisante avec un gars qui me chambre en me voyant dévorer ça. Je lui dis que c’est bon pour la santé. Cinq fruits et légumes par jour !
Et c’est parti pour les 6 kilomètres de plat jusqu’à Saint Nazaire. Il fait chaud de nouveau. La pluie s’est arrêtée. Monsieur météo nous a prévu une nuit sèche donc tout va bien ! Je m’étais promis de courir cette portion. Au mental. Ca passe plutôt pas mal. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive, je me sens vraiment bien. La quasi totalité des gens marche, je double doucement en trottinant. Un coucou à Céci en passant qui plaisante avec des amis. J’ai une pêche d’enfer, je suis aux anges. Si seulement cet état pouvait durer… Et ce qui est inattendu avec ce parcours de repli, c’est l’heure qu’il est. Je vais arriver avant le goûter ! Je ralentis quand j’entends allez la Normandie ! derrière moi. C’est sympa ce petit drapeau de Clem accroché sur mon sac car ça permet de rencontrer une elbeuvienne au beau milieu de la course ! Ca nous change de la Seine Maritime ici, qu’est ce qu’on est bien ! Et hop, je file au milieu des chevaux du concours hippique. Jusqu’à Saint Nazaire où j’arrive à la base vie avec Rémi. Un massif de fait.
Récupération du sac « confort » que je renomme pour l’occasion sac « cancan ». En fait, je n’ai pas vraiment mis de change dedans, mais j’y ai glissé mon truc en plumes, mon costume du habert. Il est bien là, ça me fait rigoler. Je décide de rester dans ma boue. Je change juste les chaussettes trempées qui apporteront une magnifique odeur quand j’ouvrirai mon sac à Grenoble à l’arrivée… (j’ai survécu à cette attaque de gaz sarin, en revanche je pense que le chauffeur du camion qui a rapatrié tous les sacs est encore en réanimation !). Céci arrive, puis Marilyn. Je suis contente de voir que tout se passe bien pour leur premier ultra ! Quelles guerrières ces deux là ! On se restaure comme on peut. J’ai du mal à finir mon plat de pâtes, je me rabats sur une bonne soupe chaude aux légumes. Quelques bananes (des vraies cette fois-ci). Je prends mon temps, c’est la première fois que je reste aussi longtemps sur une base vie. Certains se font masser, d’autres profitent de leur famille, leur « assistance » comme on dit. En fait, j’aime me gérer seule. En mode je suis là, alors j’assume (une vraie tête de mule hi hi !). Au bout d’une heure, je me dis qu’il serait peut être temps de repartir…
J’attaque la longue montée vers le col de la Faita, environ 1200 m D+ sur à peine 10 km. Je reconnais les lieux où je suis passée l’an dernier. Et je me souviens que cela va être long. Je prévois environ 3 heures jusqu’au habert. Je mettrais un quart d’heure de plus. Je regarde mon téléphone pendant qu’il capte encore le réseau. Apos n’est toujours pas arrivé à Saint Nazaire. Ca m’inquiète. J’essaie de ne pas y penser et j’avance. Ca glisse énormément dans la forêt, la boue est partout. Sans bâtons, je gère avec les racines, les pierres et les arbres. Je fais le singe avec les branches pour ne pas tomber. Ca m’amuse un peu. A d’autres moments, je ressens la fatigue physique et une profonde envie de dormir. Pas simple de gérer mes 3 à 4 heures de sommeil de la veille, entrecoupées de réveils d’excitation, de messages qui arrivent sur le téléphone et de descente des escaliers de l’hôtel pieds nus pour aller récupérer Romain qui rentre de La Morte avec un autre coureur du 160. Je me dis que ça m’entraînera pour les ultras ultras comme je les appelle, ceux où on fait la night pendant deux nuits !
Je suis seule. Je rejoins quelques coureurs dont Carole du 160 qui m’impressionne par sa lucidité après presque 35 heures de course. Nous parlons tranquillement en montant d’un pas régulier. J’ai un rythme un peu plus soutenu, je suis plus fraîche, c’est normal, alors je file. Je double quelques autres coureurs mais c’est calme. J’aime cette solitude dans l’effort, elle ne me dérange pas. Il y a un type en revanche qui me fait un peu peur, il est devant à gueuler sur tout et n’importe quoi. Il est très énervé et fonce comme un bolide. Il court par portion même. Il est sur l’XTrem et j’ai l’impression qu’il est très très fatigué…
Le sol est de plus en plus sec en haut, je suis ravie. Le col de la Faita est à l’approche. Le vent se lève, les nuages se font plus denses. Le panorama est plein de magie là haut. Chamechaude se découvre sous mes yeux. Je suis émue. Je reconnais l’endroit. Mais cette fois-ci je suis seule et je me mets à danser et galoper comme une gamine. Je suis heureuse. Je redescends en gambadant dans l’herbe, c’est très agréable. Mais la pluie commence à arriver. De plus en plus. Amenez moi monsieur météo, il ne nous a pas prévu ça au briefing ! Remboursé ! Il faut remonter jusqu’au habert. C’est long. C’est un parcours du combattant. La boue commence à se faire profonde, je ne sais plus trop où passer avec ces conneries ! Le panneau 1 km, puis la pastèque citrouille qui indique le habert ! C’est le déluge. Je m’arrête pour mettre mon boa en plumes jaunes sous les yeux ébahis d’un type qui passe devant moi. Il sera aux premières loges lui ah ah !
Emilie ? Oui c’est moi ! Doucement ça glisse ! Tu m’étonnes que ça glisse, un vrai toboggan de boue pour arriver au refuge ! Mythique cette arrivée en plumes mouillées ! Enfin ! Je suis arrivée chez Romain Lapastek ! On rigole, on fait quelques photos. Fanny me propose une bonne soupe aux vermicelles. Je rentre au chaud au coin du feu. C’est un peu le mouroir là dedans. Tout le monde est épuisé. On va dire que ça contraste avec mon entrée tout sourire. En fait, il suffit de jouer un peu pour que les choses passent tout de suite mieux ! Toute l’équipe est adorable avec nous. Je reste debout, même pas envie de m’assoir ! Je ne pensais pas en avoir envie, mais je réclame ma petite Chartreuse verte à Romain pour fêter ça ! Je suis dans un état de dingue après plus de 55 bornes dans les pattes. Je me demande même comment c’est possible ! Dehors, il fait froid en revanche quand je retourne sous la tente pour avaler pastèques, pain et chocolat. Et qui c’est qui arrive ?! Stéphanie !!! Force verte !!! Qu’elle est belle avec son boa ! Et voilà deux grandes folles en train de lever les jambes et la jupette pour immortaliser l’instant ! Quelle course, mais quelle course !!!
J’ai rangé les plumes. J’ai mis la frontale. Et j’ai ajouté une couche à manches longues. Et hop je suis repartie. A partir de là, la pluie a rendu le terrain encore plus difficile. La descente après la cabane de Bachasson a été très pénible et délicate. La nuit tombant, les repères changent et impossible de courir ou presque dans ces torrents de boue. Je dois bien avoir 2 kilos de terre sur chaque mollet. Un bon enveloppement corporel pour pas un rond. Monsieur météo, si tu m’entends, ça va se payer !
Au Sappey, c’est calme en début de nuit. Il y a quelques encouragements des gens présents. Ca fait toujours bien plaisir ces moments où tu retrouves un peu de monde, de la lumière. J’ai toujours peu d’appétit, je me force car il reste de la route et il faut de l’énergie. Les bénévoles sont aux petits soins. Je vois qu’Apos a quitté Saint Nazaire. C’est bon, tout va bien, il ira au bout, je suis rassurée. Je checke aussi les passages de Marilyn, elle n’est pas loin derrière, elle assure ma teammate Citadines ah ah ! Je retrouve Marie que je double régulièrement et qui s’est pris un beau gadin dans la boue. On est la team des sans bâtons. Elle me rejoint toujours au ravito et je repars toujours après elle, ça l’amuse que je traîne autant ! Oui c’est vrai, je profite à fond, je discute. Je prends cette course comme une balade et ça me réussit plutôt bien. Le manque de sommeil se fait sentir, je reste concentrée car je sais qu’il y a les dernières difficultés qui m’attendent. Bisous Steph, moi j’y vais ! Ok à tout à l’heure force jaune !
Dans la nuit noire, les bruits des animaux me font sursauter. Je pense aux ours et je tape fort dans mes mains pour m’entraîner pour le Canada. Merde, qu’est-ce que je vais flipper là bas… Fort Saint Eynard. Ca y est. Je suis montée. La vue sur Grenoble de nuit est juste incroyable. J’ai les larmes aux yeux. L’émotion est là. Seule. J’éteins la frontale. C’est pour ces moments là que je cours. Ceux où tu te sens exactement à l’endroit où tu dois être. Où tu te sens toi même. Je repense à la journée. Il est presque minuit.
Et c’est parti pour la descente interminable qui commence… Des escaliers. Tiens on avait pas eu le droit à ça encore ! Mais ça passe. Rien ne m’arrêtera aujourd’hui de toute façon, c’est fou. Difficile de courir en revanche, ça glisse et il y a toujours autant de bouillasse. Dommage. Je crois que j’aurais eu les cannes pour courir jusqu’à Grenoble sans trop de douleurs. Oui mais là, ce n’est pas le cas, ça commence à bien tirailler avec ces enlisements permanents.
Après Vence, ça remonte doucement et je retrouve l’excité de Chamechaude, toujours aussi excité. Il est derrière moi, finit par me doubler et me fout vraiment les jetons. Il crie, il hallucine, il est assez agressif. N’arrive pas à bien orienter sa frontale, manque de se casser la gueule plusieurs fois. Mais il avance. Et vite. Franchement il me fait vraiment peur au milieu de la nuit et en le voyant je me dis que jamais je ne ferai un 160. Mais je me remets les idées en place en pensant à Carole et Stéphanie, plus calmes et lucides que ce gentil taré !
Je me remets à courir en descendant les lacets sans fin vers la Bastille. C’est moins pentu, moins glissant. Elle est là la Bastille ! Je m’arrête dans la cour, sur la grande terrasse. Je profite de l’instant. Et je pense, les yeux dans l’horizon… Il y a ce panneau 5 kilomètres youhou j’arrive ! Je dévale dans les escaliers du fort, pénètre dans les salles, pas complètement rassurée j’avoue. C’est une atmosphère mystique, fantomatique. Il ne me manque plus que le chandelier et la robe Louis XIV ! Je trottine, je descends sans arrêt, c’est long, c’est long. Et d’un coup, elle est là. La ligne verte. Et hop, encore une petite larme de joie. Sourire enclenché. Rico dans la main.
Je pénètre dans la ville et tout va aller très très vite sur ces deux derniers kilomètres. Je suis la ligne fluo au sol dans la vieille ville. Je retrouve Romain qui m’attend pour l’arrivée. Je suis en totale euphorie, je cours vite, je pourrais faire un sprint ! On passe un petit pont, on arrive à l’arche 1 km. Et hop je fais la roue, c’est parti pour les conneries !! Tiens Luca Papi et Céline sont là à une intersection ! Je rebrousse chemin, allez petite photo souvenir avec eux et le panneau stop, je suis à fond ah ah !! La ville encore, puis la passerelle et je laisse Romain filer. Merci pour cette arrivée à 100 à l’heure pleine de rires. Tu as été au top. Comme toujours.
Je veux vivre ce moment seule à présent. Il est à moi. Rien qu’à moi. Le Parc en pleine nuit. Au calme. Le speaker annonce ma jupette, je l’entends mais je suis ailleurs. Je cours dans l’herbe, je suis juste bien. Je lève les bras. Et hop une roue pour passer la ligne. On appelle ça le bonheur je crois.
Après quelques jours, les courbatures aux quadriceps ont disparu. Je repense à tout ça et je me demande si je n’ai pas rêvé. Je voudrais tellement pouvoir garder cette recette magique, cet état de bien être qui m’a envahit tout au long de la course. J’étais en résonance comme dirait Stéphane. Finalement, à ne penser qu’à s’amuser, on finit aussi par arriver…
Merci à Rico. Merci à #LaFilleDu78 d’être aussi exaltée que moi. Merci à Force verte et Force bleue d’avoir mis des plumes mouillées dans la montagne. Merci à Lapastek et son inoubliable chartreuse. Merci à Valérie pour sa générosité et à tous les bénévoles pour tout ce qu’ils nous donnent. Merci aux proches pour leurs pensées qui sont arrivées jusqu’à mon cœur. Et merci au petit lutin, aux fées et aux étoiles.
Ut4M Master 100 – 97 km et 5800 mD+ (mais ça c’était avant la pluie !)
20 août 2016
Photo de groupe : Lionel Marie (Ut4M)
Autres photos : merci à Marilyn, Stéphanie, Romain et Apos
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